NATION Nation et idéologie
Orientations et structure des idéologies ethnico-nationales
Les orientations en fonction des situations
Une idéologie ethnico-nationale ne se comprend qu'en fonction d'une orientation d'ensemble qui marque de son signe tous les éléments de sa structure. Cette orientation constitue en somme le rapport entre la situation où se trouve placé le groupe et les aspirations de ses membres, suivant les possibilités réelles ou imaginaires de satisfaction de celles-ci.
Les idéologies ethnico-nationales sont normalement des idéologies d'affirmation, donnant simplement une forme idéologique à une conscience d'unité relative. Sous cet aspect, elles se rangent dans les idéologies « idéologiques » au sens strict de la classification de Karl Mannheim, c'est-à-dire qu'elles ne font que transcender la situation réelle du groupe en lui donnant un aspect embelli, mystifié, mythifié, sans qu'on cherche à réaliser réellement l'idéal dessiné. Mais l'affirmation se relâche ou s'aiguise suivant les situations, essentiellement suivant le degré des tensions internes entre les groupes, suivant aussi les menaces ou les attractions de l'extérieur.
Une forte tension entre les groupes internes peut amener à un mépris pratique de l'unité ethnico-nationale, plus rarement à une contestation théorique. Il est plus aisé de dénoncer les groupes ennemis comme trahissant le comportement idéal de l'ethnie.
Des conflits aigus et durables avec les ethnies voisines peuvent développer des idéologies de compétition ou de combat, idéologies mobilisatrices. Les mythes apologétiques et ceux qui dénigrent l'ethnie opposée se multiplient. Les dieux des uns et des autres sont mobilisés en même temps qu'ils sont respectivement exaltés ou dénigrés. Pour exemple, entre mille, citons les vers de Virgile assimilant la campagne d'Octave contre Antoine et Cléopâtre à une lutte entre ethnie romaine et ethnie égyptienne :
Omnigenumque deum monstra et latrator AnubisContra Neptunem et Venerem contraque[Minervam] tela tenent,
« D'affreux dieux de toutes espèces avec l'aboyeur Anubis combattent contre Neptune et Vénus, contre Minerve » (Énéide, viii, 698-700).
Qu'une ethnie, habituellement unifiée par un État (ou au moins fédérée) passe à une politique impérialiste, domine ou vise à dominer d'autres ethnies, et l'on voit apparaître une idéologie de domination. Le règne de cette ethnie dominante est identifié à l'ordre cosmique, ses mœurs et ses institutions à la réalisation de l'idéal humain. Ceux qui y résistent sont des rebelles à l'ordre universel. Ils sont rejetés dans la catégorie de l'infra-humain, du bestial, rattachés au désordre des éléments du chaos primordial, aux divagations préculturelles de la nature pure. Il s'agit encore d'idéologies « idéologiques » au sens de Mannheim.
En face de ces efforts de domination se forment des idéologies de résistance et, si la domination est un fait accompli, de révolte intensément mobilisatrices. C'est alors que l'on insiste sur la loyauté ethnique, sur la fidélité aux valeurs et aux dieux nationaux, contre les dominateurs présomptifs ou réels et surtout contre les groupes à l'intérieur de l'ethnie qui choisissent la « collaboration ». Au-delà, toute une idéologie de l'indépendance nationale, de la liberté, dénonce l'oppression et la tyrannie en elles-mêmes en même temps que la cruauté et les mœurs dissolues qui sont censées être inhérentes à l'ethnie dominatrice, ainsi que le luxe qu'elle tire de ses pillages. Parfois même, l'horizon ethnique est dépassé. Un appel est fait à la solidarité des ethnies menacées et on va jusqu'à postuler leur unité profonde. Ainsi pour les Celtes et les Germains face à Rome. Il s'agit maintenant d'idéologies « utopiques » selon la terminologie de[...]
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Écrit par
- Maxime RODINSON : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
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