NATION Nation et idéologie
Les idéologies ethnico-nationales et le monde
Les tâches essentielles des idéologies ethnico-nationales
Les idéologies ethnico-nationales ont une fonction par rapport aux tâches essentielles qui s'imposent à toute société. Aussitôt qu'une formation d'envergure plus large que la tribu, la cité, etc., est rendue possible par les conditions économiques, démographiques, géographiques et autres, elles fournissent un mécanisme d'intégration indispensable. En même temps, comme toute formation sociale nécessite une image, une conscience d'elle-même, elles fournissent au groupe ethnico-national une image fonctionnelle et opératoire, adaptée aux exigences vitales de cette formation.
On peut préciser, avec E. Lemberg, les modes d'intégration que fournit l'idéologie : délimitation vis-à-vis de l'extérieur, affirmation d'une supériorité, et cela d'autant plus qu'on part d'une situation d'infériorité, résistance (parfois offensive) à la pression de l'extérieur, à une menace réelle ou imaginée, structuration morale interne par la définition et l'imposition d'un système de valeurs proclamées supérieures à toutes autres, déploiement de mesures destinées à assurer l'unité et la pureté de la formation ethnico-nationale, appel à l'abnégation, au dévouement à celle-ci. On retrouve les trois principes qu'Alain Touraine définit comme indispensables à un « mouvement social complet » : principe d'identité, principe d'opposition (à un adversaire donné), principe de totalité, c'est-à-dire référence à des valeurs supérieures, à de grands idéaux théoriquement admis par tous, à une philosophie ou théologie prétendant rendre compte de l'univers tout entier.
Ces définitions permettent de critiquer à la fois ceux qui considèrent les idéologies ethnico-nationales comme des épiphénomènes superstructurels à éliminer, par réductionnisme, d'un tableau des phénomènes sociaux essentiels (comme les marxistes dogmatiques qui tendent à les réduire à des idéologies de classes) et ceux qui les regardent comme un donné inconditionné et primaire, doté d'une efficace toujours et partout supérieure à toute autre. En particulier, les délimitations des formations ethnico-nationales sont contingentes, affaire de conjoncture. On ne peut invoquer en faveur d'une délimitation donnée que des tendances préférentielles. La France eût pu se former sans la Bretagne ou la Franche-Comté et avec la Belgique ou la Suisse par exemple. D'où, en certains cas, des conflits entre idéologies ethnico-nationales délimitées de façon diverse. La suprématie de l'idéologie ethnico-nationale sur les autres idéologies de groupes est également affaire de conditions, de situations, de conjoncture.
Lorsque les liens concrets, économiques en particulier, entre les diverses unités infra-ethniques étaient relativement lâches, l'idéologie ethnico-nationale était de même relativement faible, exposée à de multiples concurrences très efficaces, que l'on a énumérées ci-dessus. Lorsque la croissance de marchés nationaux intégrés dans le cadre d'États ethnico-nationaux a créé une unité plus forte, l'idéologie ethnico-nationale est devenue une force puissante. La bourgeoisie, qui participait tout particulièrement à cette intégration, en est devenue, souvent concurrencée par la dynastie régnante, le plus ardent défenseur. Elle a combattu, avec l'aide de celle-ci, l'aristocratie souvent cosmopolite et solidaire d'autres valeurs, ainsi que la religion liée à l'ordre aristocratique et tentée par l'universalisme et l'individualisme de la quête du salut. Sa revendication d'un État puissant garantissant la liberté individuelle dépassait la légitimation dynastique dans la mesure où la monarchie[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maxime RODINSON : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
Classification
Autres références
-
LA CRÉATION DES IDENTITÉS NATIONALES (A.-M. Thiesse)
- Écrit par Pierre MILZA
- 981 mots
Que l'idée de nation et le sentiment identitaire qui s'y rattache soient non pas des faits « naturels » mais des constructions de l'esprit, apparues au début de l'ère industrielle, il est peu d'historiens aujourd'hui pour le nier. Les Français ne furent certainement ni les premiers ni les plus ardents...
-
AFRIQUE (conflits contemporains)
- Écrit par René OTAYEK
- 4 953 mots
- 4 médias
Le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé de ces mêmes élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances... -
ALLEMAGNE (Géographie) - Géographie économique et régionale
- Écrit par Guillaume LACQUEMENT
- 12 049 mots
- 10 médias
...Deutscher Reich de Bismarck (en 1871). Mais la conscience de former un peuple s'affirme précocement en dépit et au-delà du morcellement des États territoriaux. L'idée de nation se nourrit dès le Moyen Âge de la résurrection du passé germanique à travers les grandes chansons de geste du cycle de Siegfried et de... -
ANDERSON BENEDICT (1936-2015)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 1 202 mots
L’historien et politologue irlandais Benedict Anderson tient une place importante dans l’historiographie anglo-saxonne pour ses travaux sur les origines du nationalisme.
Benedict Richard O’Gorman Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming, dans le sud de la Chine, où son père occupe un poste au Bureau...
-
ARABISME
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Maxime RODINSON
- 5 530 mots
- 6 médias
Le nationalisme arabe s'est forgé une idéologie, comportant une théorie fondamentale de la nation – et de la nation arabe –, théorie constituée en fonction des aspirations spontanées et des problèmes politiques pratiques posés par la situation des peuples arabes. Aux théories européennes sur la nation,... - Afficher les 38 références