NATIONALISME
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Il n'est guère de mot, dans le vocabulaire historique et politique de l'époque contemporaine, plus chargé d'ambiguïté que celui de nationalisme. Non seulement les considérations d'ordre moral, les préoccupations de la polémique, le souci de justifier et de condamner ne cessent d'en altérer l'utilisation, mais c'est surtout sur le terme même et sur sa définition que pèse durablement l'équivoque : mis en usage en Grande-Bretagne et en France dans le courant du xixe siècle, il n'a cessé de s'enrichir de significations successives, dérivées les unes des autres, mais non obligatoirement réductibles l'une à l'autre.
En France même, le mot, vraisemblablement d'origine britannique (l'adjectif nationalist est mentionné dans la langue anglaise dès 1715), n'apparaît qu'à l'extrême fin du xviiie siècle, et pour désigner essentiellement les excès du patriotisme jacobin. Resté longtemps d'un usage très épisodique en même temps que très incertain, il se généralise dans les dernières années du siècle suivant, mais en conservant, dans les habitudes les plus courantes de la langue, une triple signification. Il peut en effet être péjorativement employé pour stigmatiser certaines formes outrancières de patriotisme, devenant alors synonyme de chauvinisme. Il peut encore désigner les revendications d'un peuple assujetti aspirant à l'indépendance (les nationalismes polonais, irlandais, etc.). Il peut enfin servir d'étiquette et de profession de foi à certaines écoles et à certains groupements qui, affirmant la primauté dans l'ordre politique de la défense des valeurs nationales et des intérêts nationaux, sont généralement classés à droite ou à l'extrême droite de l'opinion politique (les nationalismes barrésien, maurrassien, etc.).
En langues allemande et italienne, le mot, démarqué du vocabulaire politique français, a longtemps conservé une semblable pluralité de significations. En langue anglaise, en revanche, il semble s'être rapidement stabilisé pour désigner de façon générale les diverses manifestations de la conscience nationale et du caractère national.
Difficultés d'approche et essai de définition
À la complexité et à la fluidité du vocabulaire à travers le temps et à travers l'espace viennent s'ajouter d'autres difficultés d'approche.
La première difficulté reste liée à l'ambiguïté même du vocable. Il existe, dans certains pays et à certaines époques, un nationalisme hautement proclamé, organisé et structuré, et dont certaines doctrines et certains partis se font l'interprète : c'est le nationalisme des « nationalistes ». Mais il existe aussi, et très souvent dans les mêmes pays et aux mêmes époques, un nationalisme diffus et inorganisé dont on retrouve l'expression bien au-delà des partis ou des groupements qui en revendiquent l'étiquette. Le premier type de nationalisme est évident, facile à appréhender ; le second tend le plus souvent à se confondre avec ce qu'on appelle communément le patriotisme. L'historien des idéologies ne peut cependant établir entre eux une stricte ligne de démarcation, privilégier l'un plutôt que l'autre : une étude du nationalisme français dans les premières années du xxe siècle ne peut, par exemple, s'arrêter au nationalisme hautement revendiqué de Déroulède, de Barrès ou de Maurras sans tenir compte du nationalisme non revendiqué, mais peu discutable, de Poincaré, de Delcassé, de Péguy, du nationalisme des manuels scolaires, du roman ou de la chanson populaire.
La seconde difficulté tient au fait que l'idéologie nationaliste ne s'offre que très exceptionnellement à l'état pur à l'observation de l'historien. C'est, au contraire, très étroitement imbriquée dans un système plus général de valeurs politiques et sociales qu'elle tend presque toujours à apparaître. Elle se trouve intégrée à d'autres idéologies ; elle se réclame de motivations doctrinales extrêmement diverses et souvent contradictoires. Ainsi, dans leur première vague, les nationalismes européens du xixe siècle sont-ils historiquement inséparables des aspirations libérales, de l'héritage doctrinal et affectif légué par la Révolution française : c'est tout le vieil ordre traditionnel, féodal ou monarchique, qu'il s'agissait de remettre en cause. Dans leur dernière vague, par contre, à la fin du xixe siècle et au début du xxe ils apparaissent le plus souvent liés aux idéologies conservatrices, autoritaires ou antidémocratiques.
Au-delà de la complexité terminologique et au-delà des diverses difficultés d'approche, il semble cependant qu'une formulation générale puisse être présentée, susceptible de recouvrir les réalités les plus communément reconnues du phénomène nationaliste. Dans la situation antérieure à l'existence d'un État-nation juridiquement autonome, le nationalisme semble pouvoir être défini comme la volonté d'une collectivité ayant, par suite des circonstances diverses, pris conscience de son individualité historique de créer et de développer son propre État souverain. Dans le cadre d'un État-nation déjà constitué, il peut apparaître, sur le plan politique, comme le souci prioritaire de défendre l'indépendance et d'affirmer la grandeur de l'État-nation, l'adjectif prioritaire établissant nettement la différenciation entre patriotisme et nationalisme : le nationalisme met la nation, constituée en État, au premier rang des valeurs politiques et sociales, ce qui n'est pas obligatoirement le cas dans les diverses expressions du patriotisme.
C'est à de telles formulations, centrées autour du concept d'État-nation, que se réfèrent d'ailleurs, plus ou moins explicitement, la quasi-totalité des études historiques ou sociologiques consacrées, depuis un quart de siècle, au phénomène du nationalisme.
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Écrit par
- Raoul GIRARDET : professeur à l'Institut d'études politiques de Paris
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