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NATSUME SŌSEKI (1867-1916)

Un nouvel art du roman

Cette force en lui éclatée lui permet de mener pendant quelques années une activité qui étonne. En 1906, il entreprend le second volume de Je suis un chat, tout en composant deux romans, Botchan (Le Jeune Homme) et Kusamakura (La Tête dans l'herbe). Dans ses cours, il organise en un ensemble systématique les résultats de ses recherches et tente de définir, face à la connaissance scientifique, la spécificité de la création littéraire, mais aussi ses lois et modes fondamentaux. C'est dans cette perspective qu'il envisagera une histoire de la littérature britannique au xviiie siècle et renouera, par-delà le réalisme de l'Angleterre victorienne, avec la grande tradition de L. Sterne, J. Swift et D. De Foe. Ces études, qui frappent par leur rigueur et leur originalité, furent reprises sous les titres : Bungaku-ron (1907, Théorie de la littérature) et Bungaku-hyōron (1909, Critique de la littérature). Elles témoignent d'un effort de réflexion à la fois proche et différent de l'investigation philosophique. L'auteur s'interrogeait sans cesse sur sa propre activité.

En 1907, il accepte d'entrer au journal Tōkyō Asahi-shimbun, où toutes ses œuvres paraîtront désormais en feuilleton. Il démissionne de son poste à l'Université. Il entend maintenant ne plus vivre que pour écrire, quels qu'en soient les risques. Sa création sera destinée aux centaines de milliers de lecteurs anonymes du quotidien. Une telle décision est unique dans les annales de la littérature japonaise.

Entré au journal en avril, il y donnait en juin un premier roman, Gubijinsō (Le Pavot). En dépit de sa virtuosité s'y trahissait encore quelque incertitude. Kōfu (1908, Le Mineur) marque une rupture. Sōseki cherche une forme plus dépouillée, choisit un ton monocorde : le récit sera le monologue d'un homme en fuite qui s'éloigne de la capitale, dans une sorte de nuit intérieure. Dès lors vont se succéder, en un rythme qui s'apaise, quelques-unes de ses œuvres les plus accomplies : Sanshirō (1908), Sorekara (1909, Ensuite), Mon (1910, Le Portail). Bien qu'indépendantes les unes des autres, elles apparaissent comme les volets d'une trilogie.

Un adolescent pénètre dans l'univers étourdissant de la capitale. Un fils de famille prend peu à peu conscience d'un amour oublié et sera amené à rompre avec tout ce qui faisait son existence. Un couple entre dans les années de l'aridité : la retraite dans un monastère zen ne sera pour l'homme qu'un semblant de solution. Ces personnages sont proches de l'auteur (quoique aucun des récits ne soit autobiographique). Ils sont proches de nous. Tous habitent au cœur de la grande ville, pris dans ce labyrinthe qu'est la « civilisation moderne ». Le narrateur ne propose nulle idéologie. Il épouse le rythme du corps et du cœur. Avec un art inégalé depuis, il capte l'inflexion d'une voix, les détours d'une conversation. Il ne veut pas peindre des « caractères », mais plutôt montrer comment s'enchaînent des réactions en apparence contradictoires. Il n'ambitionne point de donner un « tableau de la société », mais veut faire sentir comment un individu entre en relation avec les autres, en contact (tantôt en conflit, tantôt en accord) avec la réalité extérieure. La composition de ces récits est d'une telle diversité, d'une telle délicatesse qu'ils semblent d'une richesse presque inépuisable (et les carnets de Sōseki témoignent de cette faculté d'invention toujours en éveil). Aucun romancier de Meiji ne s'était attaché à une matière aussi quelconque. Nul n'a tenté, dans cet art, tant d'innovations, tant d'expériences.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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