NATURALISME
Jalons pour une histoire du naturalisme
L'histoire du naturalisme, à l'échelle internationale, se développe en quatre grandes étapes.
Une phase préparatoire se situe autour des années 1865. Edmond et Jules de Goncourt publient Germinie Lacerteux (1865), dont la brève Préface peut passer pour le premier manifeste en faveur d'une nouvelle littérature romanesque, fondée sur la science et apte à traiter n'importe quel sujet ; le terme “naturalisme” n'est pas employé, pas plus qu'il ne l'est par Zola lorsqu'il publie en 1867 la première édition de Thérèse Raquin.
La deuxième étape est celle d'une vague de romans parus en Europe autour de l'année 1880. La publication, à un rythme régulier, des Rougon-Macquart (le neuvième volume, Nana, paraît en 1880), les articles de Zola, la parution du recueil collectif des Soirées de Médan (1880) entraînent des débats et suscitent, directement ou non, des œuvres, qui se situent dans la même mouvance : en Espagne, en 1881, La Déshéritée de Benito Pérez Galdós et Un voyage de noces d'Emilia Pardo Bazán ; en Italie, Giacinta, de Luigi Capuana (1879) et Les Malavoglia de Giovanni Verga (1881) ; en Suède, Le Cabinet rouge de Strindberg (1879). Il faut ajouter que dans les pays scandinaves Henrik Ibsen est à l'origine d'un scandale avec sa pièce Maison de poupée (1879), qui va connaître une diffusion européenne dans la décennie qui suit.
Les années 1885-1895 marquent, dans une troisième étape, le triomphe du naturalisme à l'échelle européenne. Si, en France, le sommet de la courbe est atteint par Germinal (1885), qui est bientôt suivi par une réaction antinaturaliste alimentée par les symbolistes et les romanciers psychologues, le reste de l'Europe lit avec passion les traductions des Rougon-Macquart (dont certaines sont interdites, comme en Angleterre). Dans plusieurs pays se développent de nouvelles perspectives. C'est le cas de l'Allemagne, où l'on note des tentatives de création d'une esthétique naturaliste (bien que le terme “realistisch” soit plus volontiers employé que celui de “naturalistisch”) : La Révolution littéraire, de Carl Bleibtreu (1886), Les sciences naturelles, fondements de la poésie. Prolégomènes à une esthétique réaliste, de Wilhelm Bölsche (1887), surtout L'Art. Son essence et ses lois, d'Arno Holz (1891-1892), qui représente la tentative la plus poussée pour fonder un “naturalisme conséquent” ; l'Allemagne voit également apparaître des dramaturges de valeur, qui vont bénéficier de la création de Théâtres-Libres (comme la Freie Bühne de Berlin, créée en 1889) : Gerhart Hauptmann, avec Avant l'aube (1889), Les Tisserands (1892), Arno Holz et Johannes Schlaf, La Famille Selicke (1890). Strindberg fait représenter Mademoiselle Julie (1888), tandis que des pays jusqu'alors en retrait par rapport au naturalisme s'insèrent dans le mouvement : aux États-Unis, Stephen Crane publie Maggie, fille des rues (1893).
Une dernière phase du naturalisme commence enfin vers 1900, pour se prolonger peut-être jusqu'à la Première Guerre mondiale (Henri Barbusse, Le Feu, 1915), sinon au-delà. En 1900, Theodore Dreiser commence, avec Sœur Carrie, une carrière littéraire qui va faire de lui un représentant éminent du naturalisme nord-américain, et Thomas Mann publie, en 1901, Les Buddenbrook. Déclin d'une famille, qu'il a toujours considéré comme “peut-être le premier et le seul roman naturaliste allemand” ; on peut estimer qu'une pièce comme La Cerisaie, d'Anton Tchekhov, représentée en 1904, est une manifestation d'un réel naturalisme, surtout dans la mise en scène prévue par Stanislavski. En Amérique latine, on relève encore de forts échos du naturalisme chez le Chilien Baldomero Lillo et le Mexicain Federico Gamboa. Au début du siècle,[...]
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Écrit par
- Yves CHEVREL : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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