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NATURALISME

D'une thématique à une poétique

La plupart des jugements portés sur le naturalisme ont été longtemps marqués par une double référence dépréciative : les “gros mots” et les “bas-fonds”. Le naturalisme serait une exaspération d'un réalisme succombant à une véritable “bas-fondsmanie” d'une part, s'exprimant dans une langue poissarde de l'autre. Il est vrai que le choix de certains sujets fait parfois supposer une orientation privilégiant l 'étude des “basses classes” de la société (si la Préface de Germinie Lacerteux réclamait expressément pour elles le “droit au roman”, celle des Frères Zemganno, vingt-cinq ans après [1879], demande désormais “une étude appliquée, rigoureuse et non conventionnelle et non imaginative de la beauté”). Plus d'un titre laisse aussi entrevoir une intrigue fondée sur le récit d'une déchéance, d'un échec, d'un avortement (Zola avait utilisé ce terme pour caractériser L'Éducation sentimentale) : Verga envisage d'appeler “Les Vaincus” le cycle (inachevé) qui comprend Les Malavoglia et Maître Don Gesualdo (1888-1989) ; parmi les titres de romans du Berlinois Max Kretzer, on relève Les Bafouées (1881) et Les Dépravés (1883) et, parmi ceux de l'Anglais George Robert Gissing, Les Hors-Cadres (1884), tandis qu'en France on trouve Les Résignés (drame d'Henry Céard, 1889) ou Les Avariés (drame d'Eugène Brieux, 1901)...

Bas-fondsmanie ou dysfonctionnements ?

Il est vrai que certains écrivains se sont plu à confronter certains de leurs personnages à toute une gamme de maladies et de vices qui peuvent affecter un être humain : l'alcoolisme (L'Assommoir, Avant l'aube), la syphilis, l'érotomanie (Nana), l'inceste (La Curée), l'hystérie, la folie meurtrière (La Bête humaine), et ont bâti des intrigues où prostitution, adultère, homosexualité, fanatisme religieux, crimes, actes délictueux en tout genre foisonnent. Dans un passage (peut-être ironique ?) de Charlot s'amuse (roman d'un onaniste, 1883), Paul Bonnetain accumule les éléments biographiques d'une malade que le professeur Charcot est censé présenter à la Salpêtrière : “Elle était un exemple des troubles morbides que transmet l'hérédité, son père étant mort du delirium tremens, et sa mère, qui était épileptique, s'étant volontairement noyée à l'hospice. [...] À dix-huit ans, elle était nymphomane [...]. Avec l'âge, elle était devenue alcoolique, et l'hystérie avait remplacé la nymphomanie pour faire place [...] à une paraplégie remarquable...”

Il est incontestable surtout que le domaine d'investigation du naturalisme est largement constitué par la pathologie sociale. Dans la mesure où les sciences de la nature d'une part, la sociologie d'autre part représentent les principaux garants des écrivains naturalistes, il est inévitable qu'ils mettent l'accent sur tout ce qui contribue aux dysfonctionnements de la société, et non seulement sur ce qui touche à la psychologie d'un personnage. Si les “marginaux” les intéressent tant, ce n'est pas uniquement pour eux-mêmes, c'est avant tout dans la mesure où ils révèlent quelque chose sur la société : Nana, la “fille Elisa”, Isidora Rufete (héroïne de La Déshéritée) ne sont pas présentées uniquement comme des prostituées, elles sont aussi des maillons de la société, maillons peut-être fragiles, mais qui permettent de mettre en évidence les tares d'une société, ou les méfaits de l'univers carcéral.

Une méthode analytique

Edmond de Goncourt évoque “l'analyse cruelle” que Zola et lui-même ont appliquée dans leurs romans (Préface des Frères Zemganno). La cruauté de l'analyse tient sans doute à ce que les écrivains s'attachent précisément aux dysfonctionnements.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Médias

Tchekhov - crédits : Bettmann/ Getty Images

Tchekhov

Jules et Edmond de Goncourt - crédits : J.R. Freeman/ British Museum

Jules et Edmond de Goncourt

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