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NATURE MORTE

Quelle expression moins appropriée, pour désigner la représentation d'objets usuels, de denrées alimentaires, d'animaux ou de fleurs, toutes choses qui ont à voir avec les sens, le plaisir, bref la vie même, que celle de « nature morte » forgée, semble-t-il, au milieu du xviiie siècle, à l'époque où, précisément, triomphe l'art d'un Chardin ? En 1667, pour définir le moins noble des sujets selon la hiérarchie académique des genres, le critique français André Félibien parle de « choses mortes et sans mouvement », désignant ainsi tant l'aspect des objets que leur état physique. Cette notion d'absence de mouvement qui ne sous-entend pas nécessairement l'idée de mort, est essentielle : on la retrouve sous une forme un peu ambiguë chez Diderot (« nature inanimée »), mais il semble que ce soit aux Pays-Bas aux alentours de 1650 qu'elle ait vu le jour, avec une acception technique : les peintres hollandais, dans leur langage d'atelier, parlent alors de still-leven, ce qui, littéralement, signifie « nature immobile » ou encore « nature posant comme un modèle » (et non explicitement « nature morte »). De là sont issus l'allemand Stilleben et l'anglais still-life, qui ajoutent à l'idée de pose celle de silence, également présente en France, au milieu du xviie siècle, dans l'expression « vie coye ». Alors, dira-t-on, pourquoi pareille dichotomie entre les pays nordiques et anglo-saxons, qui ont su conserver une terminologie quasi professionnelle, et le monde latin où s'est imposé peu à peu l'usage français, plus dramatique, et moins juste, donnant natura morta en italien (à la place du cose naturale du xvie siècle, voire de natura in posa) et, plus rarement il est vrai, naturaleza muerta en espagnol (au lieu de termes spécialisés tels que floreros, fruteros ou bodegones) ?

Il y a à cela au moins deux raisons possibles : le rang subalterne imposé en France au milieu du xviie siècle à la peinture d'objets par la doctrine académique – qui n'a pas vraiment d'équivalent dans les pays nordiques, à la différence de l'Italie – explique que se soit imposée aux hommes des Lumières, encore très familiers de ces conceptions, l'expression un peu péjorative de « nature morte », de préférence à « vie coye » ou à une traduction de l'allemand comme « vie silencieuse ». Mais ne peut-on alléguer aussi, pour transcender ce déterminisme un peu facile, une sorte de « contamination sémantique » inconsciente de tout le genre par un thème connu depuis l' Antiquité, celui de la Vanité, où domine précisément l'idée de la mort ?

L'Antiquité classique : trompe-l'œil et « Carpe diem »

<it>Nature morte avec des œufs et une cruche de lait</it> - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte avec des œufs et une cruche de lait

La nature morte en tant que genre pictural à part entière trouve son origine en Grèce, au début de la période hellénistique, quand apparaît, à côté de la peinture monumentale (mégalographie) ou sur panneau d'inspiration mythologique et historique, un art tourné vers la nature et la vie quotidienne, privilégiant la description de victuailles, de fleurs et de menus objets (rhopographie). De cette production ne nous sont parvenus, hélas, que des copies et des dérivés tardifs : mosaïques et fresques romaines du ier siècle avant J.-C. au ive siècle, découvertes notamment en Campanie (Pompéi, Herculanum) et sur certains sites d'Afrique du Nord.

Selon le témoignage de Pline l'Ancien (Histoire naturelle), le plus illustre adepte du genre aurait été un certain Piraeicos (ive-iiie siècle ?), auteur de tableaux (tabellae) représentant des artisans au travail, des animaux ou des « provisions de bouche et autres denrées du même type » (obsonia ac similia), qui font penser aux xenia, ces présents de vivres que les Grecs fortunés mettaient à la disposition de leurs hôtes. Le fait que Piraeicos[...]

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<it>Nature morte avec des œufs et une cruche de lait</it> - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte avec des œufs et une cruche de lait

<it>Nature morte à la tourte, au citron et au pain</it>, P. Claesz - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte à la tourte, au citron et au pain, P. Claesz

<it><em>Vanité</em></it><em> ou </em><it><em>Allégorie de la vie humaine</em></it>, P. de Champaigne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Vanité ou Allégorie de la vie humaine, P. de Champaigne

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