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NATURE MORTE

Moyen Âge et Renaissance : réalité et symboles

Disparue pendant près d'un millénaire – l'art byzantin ne lui accorde pratiquement aucune place –, la nature morte réapparaît en Italie, au début du Trecento. Le sens spatial d'un Giotto et le goût siennois du détail réaliste réhabilitent en effet les objets à l'intérieur des compositions à figures, pour donner à celles-ci davantage de vérité et de vie. Ambrogio Lorenzetti dans l'église inférieure d'Assise, vers 1320, Taddeo Gaddi à la chapelle Baroncelli à Santa Croce de Florence, vers 1337-1338, peignent des « niches liturgiques » en perspective, peuplées d'objets en trompe l'œil, qui sont probablement les premières natures mortes indépendantes de la Renaissance. La recherche d'illusion spatiale que dénotent ces compositions trouve son aboutissement au Quattrocento, sous l'influence des recherches géométriques de Paolo Uccello et de Piero della Francesca, dans les fameuses marqueteries (tarsie) de la cathédrale de Modène (atelier des Lendinara, 1461-1465) et des studioli de Federico de Montefeltre aux palais d'Urbin (Baccio Pontelli, 1476) et de Gubbio (1480-1482 ; Metropolitan Museum, New York), riches décors d'architecture et d'arrangements de livres et d'objets scientifiques en trompe l'œil, dont le parti général et certains détails (motif du placard entrouvert, du tableautin intégré à un décor, etc.) semblent directement issus de l'art romain antique.

La miniature, de son côté, tant lombarde (par exemple, dans les Tacuina sanitatis du Trecento) que franco-flamande (tel le célèbre Calendrier des frères de Limbourg, à Chantilly) assure la pérennité d'un réalisme descriptif, d'un rendu méticuleux des textures, des menus objets, des fleurs et des petits animaux, bientôt développé avec un sens supérieur de l'observation, et grâce à la peinture à l'huile, par les maîtres flamands du xve siècle : le Maître de Flémalle, Jan Van Eyck, Rogier Van der Weyden, chez qui tous les éléments du réel, hommes et choses, semblent revêtir une importance égale, englobés qu'ils sont dans une admiration sans réserve pour la Création. Dans les Pays-Bas}, comme en Allemagne et en France, toutefois, la nature morte demeure partie intégrante de la composition à figures, où elle revêt en général une signification symbolique (ainsi des arrangements de livres et de boîtes placés dans la partie supérieure des niches des prophètes Isaïe et Jérémie, les deux volets du retable de l'Annonciation d'Aix de Barthélemy d'Eyck ; musées d'Amsterdam et de Bruxelles) ; lorsqu'elle s'en détache, c'est pour orner le revers d'un panneau à sujet religieux, élément d'un diptyque ou d'un polyptyque ( Hans Memling, vers 1485 ; Jan Provost, vers 1510), à moins qu'il ne s'agisse, plus trivialement, d'une porte de placard, dont elle est alors chargée d'évoquer le contenu, empruntant parfois ses motifs – empilement d'objets, porte entrebâillée – aux tarsie d'Italie (ainsi dans Armoire entrouverte, Allemagne du Sud, vers 1470-1480, musée d'Unterlinden, Colmar ; et Le Placard, Flandres, 1538, musée Kröller-Müller, Otterlo).

La nécessaire présence d'éléments de nature morte dans des sujets religieux universellement traités, tels que l'Annonciation (« bouquet de pureté » symbolisant les vertus de la Vierge), Noces de Cana (table servie), certains saints (Jérôme, Augustin...) dans leur studio (livres et objets scientifiques, tête de mort, sablier) a, d'autre part, certainement concouru à faciliter l'apparition de sous-genres indépendants : tableaux de fleurs, représentation de tables servies et de victuailles, Vanités enfin. Dans tous les cas, cette définition semble être passée par une référence[...]

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<it>Nature morte avec des œufs et une cruche de lait</it> - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte avec des œufs et une cruche de lait

<it>Nature morte à la tourte, au citron et au pain</it>, P. Claesz - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte à la tourte, au citron et au pain, P. Claesz

<it><em>Vanité</em></it><em> ou </em><it><em>Allégorie de la vie humaine</em></it>, P. de Champaigne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Vanité ou Allégorie de la vie humaine, P. de Champaigne

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