NATURE MORTE
L'Âge baroque, Âge d'or
La « table servie » : un thème international
De l'inventaire du réel entrepris par les maniéristes, et de l'étalage de victuailles à la Aertsen (qui lui-même rappelle le xenion antique) procède un thème appelé à s'internationaliser entre 1600 et 1620, celui de la « table servie », disposition aérée, le plus souvent en vue plongeante, de comestibles et de vaisselles – « déjeuner », « dîner », « dessert », « collation » – voire de coquillages et autres objets précieux, aux contours précis, aux couleurs vives soutenues par un éclairage uniforme. Illustré en Hollande, à Delft et à Haarlem surtout, avec des compositions plus ou moins élaborées mais toujours d'une certaine densité plastique, par des artistes comme F. Van Dijck, N. Gillis, F. Van Schooten et B. Van der Ast, ce courant se fait plus raffiné et plus intime en Flandres, avec C. Peeters, O. Beert, J. Van Es, J. Van Hulsdonck et J. Van Essen, plus aigu, et plus austère parfois, en Allemagne avec D. et I. Soreau, P. Binoît, G. Flegel et même le luministe G. von Wedig (Collation à la chandelle, Hessisches Landesmuseum, Darmstadt). L'art des bouquets, des guirlandes et des couronnes de fleurs, qui, à l'occasion se conjugue avec les motifs de la « table servie », connaît un essor parallèle : les principaux représentants en sont le Hollandais A. Bosschaert l'Aîné, qui place ses bouquets dans des niches ouvertes sur un fond de paysage (formule qui rappelle les Deux Singes de P. Bruegel l'Ancien) et le Flamand J. Brueghel de Velours, qui, en plus de ses qualités éminentes de peintre et de son intérêt pour le langage symbolique des fleurs – par quoi il se rattache à l'art religieux de la fin du Moyen Âge –, a le mérite d'avoir développé une formule déjà en place chez Hoefnagel mais promise au xviie siècle au plus grand succès, celle de la guirlande entourant un sujet religieux ou un portrait (J. Van Kessel et D. Seghers en Flandres, Mario de' Fiori en Italie, J. de Arellano en Espagne, J. Davidsz de Heem en Hollande, J.-B. Blain de Fontenay en France...).
Le « festin monochrome »
Entre 1620 et 1640, cependant, sous l'influence des idées austères de la bourgeoisie protestante de Hollande, le thème de la table servie fut le théâtre d'une petite révolution plastique. Chez Pieter Claesz et chez Willem Claesz Heda, la table servie devient « festin monochrome », formule caractérisée par un choix plus restreint d'objets, une composition plus serrée et un point de vue plus frontal que précédemment, enfin par une harmonie de tons bruns, beiges ou gris-vert révélée par un éclairage diagonal d'une poésie toute métaphysique. Dans le même climat, principalement à Haarlem avec W. Claesz Heda, à Leyde avec H. Van Steenwijck, et à Anvers avec C. N. Gysbrechts, se développe le thème de la Vanité, sorte de méditation sur la mort et la fragilité des valeurs de ce monde, qui, loin de demeurer une spécialité protestante, va s'étendre au monde catholique, notamment à la France (P. de Champaigne, S. Renard de Saint-André...) et à l'Espagne (Valdés Leal, F. Velázquez Vaca...) : les origines, on l'a vu, en sont fort anciennes, et la signification, fondée sur un répertoire de motifs codifiés, devait plus ou moins marquer ensuite toute la nature morte.
Le baroque néerlandais : verve et opulence
À l'opposé, en Flandres, dès les années 1610-1620, F. Snyders, collaborateur de Rubens pour les fruits et les légumes, renouvelle la vieille formule aertsienne de l'étalage de victuailles à travers des compositions dont la richesse de motifs, la vitalité plastique, le chromatisme chaleureux et les éclairages lyriques satisfont le goût pour l'opulence du baroque anversois, tout en cantonnant la nature[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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