NATURE MORTE
XIXe et XXe siècles : déclin et retour de l'objet
Bien que le trompe-l'œil, avec des artistes comme Boilly et Leroy de Barde (Réunion d'oiseaux étrangers placés dans différentes caisses, 1810, Cabinet des dessins, musée du Louvre) et la peinture de fleurs, avec l'école lyonnaise, adepte d'un faire méticuleux et porcelainé (A. Berjon, Saint-Jean), y produisent des œuvres d'un grand raffinement et d'une indéniable poésie, la période néo-classique, qui privilégie la peinture d'histoire à résonance héroïque, n'est guère propice à la nature morte : le soin extrême apporté par David aux accessoires de ses tableaux – ainsi la corbeille à ouvrage du Brutus – montre cependant que l'attention portée aux objets est loin d'être éteinte.
Disons plutôt qu'elle tend à se confondre avec des préoccupations d'ordre plastique. Au temps du romantisme, par exemple, le genre est peu goûté, mais Delacroix lui-même y revient de loin en loin, dans des compositions d'une grande force chromatique, réminiscences des fastes français et flamands du xviie siècle (Nature morte au homard, 1824, musée du Louvre ; Fleurs, 1842 ?, Kunsthistorisches Museum, Vienne). À partir du réalisme, avec Courbet, Bonvin, T. Ribot, Fantin-Latour, puis Manet, qui, tous, subissent plus ou moins l'influence de la peinture espagnole, la nature morte devient prétexte à des morceaux, opulents ou discrets, de peinture pure, où la méditation d'antan sur la fragilité des choses d'ici-bas se dérobe derrière une sorte de constat matérialiste de la beauté du réel (Manet, Le Jambon, Glasgow Museums and Arts Galleries).
Mais, au-delà des impressionnistes, qui, quoique avant tout peintres de plein air, ne dédaignent pas de si adonner (Bazille, Caillebotte, Morisot, Monet, Renoir, J.-E. Blanche...), la nature morte devait faire montre de ressources encore inexploitées. Chez Van Gogh, qui, à son arrivée à Paris en 1886, étudie les tableaux de fleurs riches en matière de Monticelli, elle est l'occasion de puissants exercices de style japonisant (Tournesols défleuris, 1887, musée Kröller-Müller, Otterlo) – voie déjà empruntée par Gauguin (Nature morte à la tête de cheval sculptée, 1886, coll. part.) –, mais retrouve surtout une dimension symbolique, liée à un langage pictural à caractère expressionniste : ainsi dans Le Fauteuil de Gauguin (1888, Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam), Vincent célèbre-t-il son amitié pour le peintre frère et son vieux rêve de communauté artistique, ou encore dans Branche d'amandier en fleurs (1890, Rijksmuseum V. Van Gogh), la naissance d'un fils chez Théo. D'une toute autre veine, plus onirique, procède le symbolisme des nombreux Vases de fleurs d'Odilon Redon.
Pour Cézanne, qui réussit une synthèse de la « petite sensation » et d'une démarche intellectuelle lucide, la nature morte est un motif comme un autre, équivalent à un corps humain ou à une montagne, mais qui se prête particulièrement bien à des recherches sur l'espace, la géométrie des volumes, le rapport entre couleur et forme : « quand la couleur, dit-il, est à sa puissance, la forme est à sa plénitude » (Pommes et biscuits, env. 1880, musée d'Orsay). Ce serait toutefois une erreur de croire qu'à partir de Cézanne le choix des objets, si banals et peu sollicités pour leurs qualités esthétiques intrinsèques soient-ils, devient indifférent à l'artiste.
Au contraire, les cubistes, Braque, Picasso, J. Gris – et leurs émules comme R. de La Fresnaye et, plus tard, N. de Staël –, qui mènent à leur terme logique les recherches du peintre d'Aix, utilisent des objets familiers – guitare, journal, verre, bouteille, paquet de tabac, etc. – pour organiser sur la toile, voire en trois dimensions, comme de véritables sculptures,[...]
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- Robert FOHR : historien de l'art
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