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NATURE, notion de

La nature objectivée : mathesis universalis

À partir du xiie siècle, de nombreux textes grecs, notamment ceux d'Aristote, sont redécouverts. Sous leur influence, on redonne plus d'autonomie et de consistance à la nature en dehors de Dieu. Tout comme on s'intéresse davantage à la nature comme « principe de l'opération de la chose » (Thomas d'Aquin, 1225-1274), immanent à la chose elle-même. Cet intérêt nouveau ouvrira la voie aux sciences modernes qui se tourneront vers la matière plutôt que vers la forme ou l'essence pour rendre compte du mouvement naturel.

Boèce distinguait un sens de nature restreint aux substances corporelles, d'après lequel la nature est principe matériel de mouvement par soi. Ce qui fait qu'un lit tombe, ce n'est pas sa forme de lit, qui est artificielle, mais le bois qui est naturel et qui est la matière dont il est fait. À l'évidence, la physique moderne cherche, dans l'étude de la matière, à expliquer la nature, ce qui ne veut pas dire qu'elle ignore tout principe formel. Si la référence aux matérialistes de l'Antiquité a joué un rôle important dans la révolution scientifique, la référence platonicienne y reste décisive. Cependant, la forme dont le langage permet de comprendre les mouvements de la matière n'est plus la forme substantielle chère aux aristotéliciens, mais la forme mathématique (Galilée). Pour la science moderne, la nature n'est plus un tout régi par un ou des principes immanents (voire un principe transcendant, lorsque le tout est référé à Dieu), ni par une ou des natures-essences, mais un système matériel de mouvements décrits par des lois qui ont fonction de principes explicatifs.

La réflexion qui s'efforce de comprendre la connaissance objective moderne de la nature comme système de lois mettra de plus en plus en évidence que celle-ci est une construction de l'esprit humain. Très tôt, la science moderne a reconnu qu'il n'y avait pas de différence essentielle entre les choses naturelles et les choses artificielles – autrement dit qu'on pouvait expliquer la nature comme une machine. On a ensuite reconnu que la rationalité ne dépendait pas de l'objet lui-même, mais bien d'une élaboration par l'esprit. Pour Emmanuel Kant (1724-1804), la connaissance des objets de la nature résulte de l'application par l'entendement de ses concepts aux impressions sensibles. Si cette connaissance des phénomènes est valide, la nature comme totalitédynamique n'est qu'une idée de la raison, et ne saurait conduire à une connaissance objective. L'épistémologie contemporaine, en réfléchissant sur l'histoire des sciences et le dépassement du système newtonien de la mécanique, auquel s'arrêtait Kant, a mis en évidence le caractère non seulement construit mais également relatif de la connaissance objective de la nature au niveau de son élaboration théorique.

Recentrée sur le domaine matériel, et objectivée par l'entendement humain, la nature n'est donc pas ici la nature rassemblant tous les êtres. C'est une nature qui, dans son objectivité, est opposée au sujet, même si elle est posée par lui. Toute l'époque moderne est dominée par un tel dualisme de la nature et de l'esprit, de la nécessité et de la liberté, de la nature et de la culture. Même si pour agir l'homme ne peut déroger aux lois de la nature, à l'intérieur de ce dualisme, il se trouve, comme esprit, supérieur à celle-ci et ne trouve en elle qu'une rationalité qui est la sienne.

Est apparu assez vite le sentiment que cette nature construite et objectivée n'était pas ce qu'il y a de plus naturel, mais en était même la perte. L'aménagement du monde humain de plus en plus technicisé et rationalisé suscite aujourd'hui un souci de la nature qui répond à des problèmes très concrets[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Bourgogne

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