NATURE WRITING, littérature
La prise de conscience croissante, par le grand public et par les politiques, de l’urgence de la crise climatique et écologique qui menace notre planète nourrit un intérêt croissant pour les « écrivains de la nature », soit en anglais, puisque cette tradition nous vient principalement des États-Unis, pour le genre du nature writing. Ce dernier, dont le prototype le plus connu est sans doute Walden, ou la Vie dans les bois (1854)de Henry David Thoreau, rassemble des ouvrages tournés vers l’observation de la nature, notamment mais non exclusivement la nature sauvage (wilderness), et la méditation de ses enseignements. La nature n’y figure pas seulement, comme c’est le cas dans le roman réaliste, comme le décor ou le ressort dramatique d’une intrigue centrée sur des péripéties humaines, ni, comme c’est le cas dans la tradition romantique, comme le reflet des sentiments ou des émotions – deux traditions qu’on dira centrées sur l’humain, ou anthropocentrées. Elle y apparaît comme méritant l’attention pour elle-même, car douée d’une valeur « intrinsèque » (Thoreau), d’une sensibilité, d’une capacité d’action et d’organisation (agency), d’une aptitude à se comporter en sujet qui lui sont propres, lui conférant un droit moral à exister et prospérer indépendamment des intérêts de l’homme – celui de la modernité occidentale, qui l’a généralement réduite à l’état de matière première ou de marchandise. Plutôt que de façonner une nature imaginaire à l’image des besoins de celui-ci, les naturewriters vont se mettre à l’écoute de la nature pour faire place, dans le langage et le monde de l’homme, aux voix et aux voies de la nature. Cette volonté de décentrage oriente donc leur écriture vers la plus radicale des altérités.
Écologie de surface et écologie profonde
Ce faisant, les écrivains de la nature souscrivent implicitement à la distinction établie par Arne Naess, l’un des fondateurs du courant philosophique contemporain de l’éthique environnementale, entre « écologie de surface » et « écologie profonde ». Alors que l’écologie « de surface » propose des solutions techniques à la crise environnementale, l’écologie profonde préconise un changement de paradigme culturel, voire un nouveau modèle de civilisation. Elle invite à passer de la vision anthropocentrée qui a animé la modernité occidentale, faisant de l’homme le « maître et possesseur de la nature » (Descartes), à une vision biocentrée, fondée sur un principe d’égalitarisme, traduisant en termes idéologiques et moraux le principe écologique de l’interdépendance de toutes les formes du vivant. La distinction entre ces deux visions est au cœur de l’éthique environnementale telle que la pratiquent les philosophes John Baird Callicott ou Paul Taylor. Et c’est bien cette approche biocentrée que les écrivains de la nature traduisent en termes poétiques – certains écriront poéthiques –dans leur écriture. La vogue actuelle du genre peut parfois conduire les éditeurs à présenter comme « écrivains de la nature » des auteurs à qui elle sert de simple cadre à une intrigue centrée sur l’humain. Mais les véritables « écrivains d’environnement », pour reprendre l’expression et la définition de Lawrence Buell, l’un des fondateurs de l’écocritique avec The Environmental Imagination (1995), font de la relation entre l’homme et la nature leur objet principal tout en suggérant que l’intérêt de l’homme n’est pas le seul intérêt légitime. Notons également que de nombreux auteurs amérindiens, notamment Scott Momaday, Leslie Marmon Silko, James Welch, ou mieux encore Linda Hogan, qui puisent dans l’héritage culturel des peuples premiers une vision syncrétique des formes du vivant, sont rarement identifiés comme écrivains de la nature mais devraient l’être à part entière.
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Écrit par
- Yves-Charles GRANDJEAT : professeur des Universités à l'université Bordeaux-Montaigne
Classification
Médias
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