NATUREL, esthétique
L'un des principes de base de l'esthétique classique. Le naturel « exprime la conformité de l'œuvre d'art à un modèle idéal qu'on appelle conventionnellement la nature » (R. Bray). Cette définition permet de comprendre les ambiguïtés de la notion. Quelle nature ? La nature humaine sans doute, et non la nature extérieure. Mais, écrit Pascal « on ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter », et la conception qu'on s'en est faite a pu varier entre 1650 et 1670 (qu'on se rappelle les sarcasmes de Racine à l'égard des cornéliens : pour les satisfaire, « il ne faudrait que s'écarter du naturel pour se jeter dans l'extraordinaire... ») sans que la théorie ait été pour autant modifiée : les deux générations se réclament du naturel, mais la seconde, retrécissant la notion de nature et élargissant le champ de l'extraordinaire, vise une vérité moyenne, quotidienne, ce qui n'est pas sans poser de nouveaux problèmes. En effet, l'imitation, telle que l'entendent les théoriciens et les écrivains classiques, ne saurait être une imitation intégrale, un réalisme — encore moins un naturalisme : elle implique transposition (certains traits sont accusés, ordonnés, embellis) et choix (est exclu tout ce qui est bizarre, laid, désagréable, horrible, avilissant) — en définitive stylisation. Quand Molière déclare qu'il faut « peindre d'après nature », c'est pour justifier les outrances grotesques d'Arnolphe... On observe un processus analogue dans le domaine de l'expression : de même qu'il s'agit de retrouver une pensée que chacun « avait dans la tête avant que de la lire » (père Bouhours), de peindre un effet ou une passion de manière que l'auditeur (ou le lecteur) « trouve dans soi-même la vérité de ce qu' [il] entend » (Pascal), de même on doit éviter « les phrases trop étudiées, un style trop fleuri, les manières compassées, les beaux mots, les termes trop recherchés et toutes les expressions extraordinaires » (père Rapin), bref toute affectation — quitte à tomber dans l'affectation de naturel. « Quand on voit le style naturel, écrit Pascal, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme » ; mais, quand on lit la correspondance de Guez de Balzac qui, l'un des premiers, s'est fait le champion du naturel, on trouve plus souvent le « parler Balzac » que l'homme Balzac. En somme, cherchez le naturel, il s'enfuit au galop. Alors qu'on pourra penser (et le paradoxe n'est qu'apparent) que le naturel chez les grands écrivains classiques — un Racine, un La Fontaine — est le suprême effet de l'art.
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Écrit par
- Bernard CROQUETTE : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII
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