NAVIRES Hydrodynamique navale
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L'hydrodynamique navale, qui traite des rapports du navire avec l'eau qui l'entoure, constitue sans nul doute l'une des disciplines fondamentales que doit maîtriser l'architecte naval au moment d'élaborer un nouveau projet. Ces rapports conditionnent en effet très directement non seulement les formes et les dimensions principales de la carène, mais aussi la puissance de l'appareil propulsif, celle de l'appareil à gouverner, l'échantillonnage de la charpente... Les enseignements de l'hydrodynamique navale sont également utiles au marin qui doit pouvoir diriger son bâtiment quels que soient l'état de la mer et les obstacles à éviter.
Si ses origines sont donc aussi anciennes que les navires eux-mêmes, l'hydrodynamique navale ne s'est toutefois établie comme science qu'à partir du xviiie siècle. Elle eut alors la bonne fortune d'intéresser des savants aussi prestigieux qu'Euler, Bernoulli, Bouguer, d'Alembert ou Condorcet. Entre autres problèmes, ils se posèrent évidemment celui de la résistance à l'avancement des vaisseaux, non pas tant d'ailleurs pour prévoir les performances d'un navire en construction, que pour trouver une carène de navire de moindre résistance qui, selon les idées émises par Newton dans ses Principes, devait nécessairement être de formes géométriques simples. Les connaissances sur les causes de la résistance faisant alors à peu près complètement défaut, on entreprit des études expérimentales en remorquant, sur des bassins existants, des modèles réduits très schématiques. Les travaux les plus intéressants furent exécutés en Angleterre par Fortney et Beaufoy, en Suède par Chapman, qui fut un éminent architecte naval, et surtout en France. D'Alembert, Condorcet et l'abbé Bossut notamment exécutèrent en 1775, à la demande de Turgot, des essais tendant à évaluer l'augmentation de la résistance lors du passage d'un bateau en canal (cf. gravure). Quant à Romme, il fut l'un des rares à exécuter des essais sur une maquette conforme à un vaisseau réel, l'Illustre (Rochefort, 1785).
Quelques-uns, Euler entre autres, pressentaient déjà le rôle que pourraient jouer ces essais à échelle réduite pour le dessin des navires ; cependant, il fallut encore attendre un siècle pour que, les lois de similitude étant maîtrisées, la technique des modèles entrât dans les applications pratiques. Le Français Ferdinand Reech, qui se consacra entièrement à l'enseignement de l'architecture navale, énonça dès 1832 que « les résistances de corps flottants de formes semblables ne peuvent être proportionnelles aux surfaces et aux carrés des vitesses qu'autant que les carrés des vitesses sont proportionnels aux dimensions linéaires ». L'Anglais William Froude compléta cette proposition en distinguant les différentes causes de la résistance, et il réalisa la première expérience convaincante : la résistance à la marche du Greyhound, mesurée au cours d'un remorquage à la mer (1873), fut en effet trouvée supérieure de 10 p. 100 seulement aux prévisions faites à partir des essais sur modèle qu'il avait effectués dans le bassin, construit tout spécialement pour lui par l'amirauté britannique, à Torquay. La méthode des modèles était née. Cette méthode expérimentale d'approche de l'hydrodynamique navale se révéla vite très puissante. L'exemple de l'Angleterre fut peu à peu suivi par toutes les nations maritimes, la France se dotant pour sa part, sous l'impulsion d'Émile Bertin, d'un bassin d'essai de carènes en 1906.
Ces bassins furent d'abord tous du type canal, c'est-à-dire suffisamment allongés (plusieurs centaines de mètres dans la pratique) pour permettre de mesurer sur une assez grande longueur la résistance, puis les performances propulsives et le comportement sur houle de l'avant ou de l'arrière. Des installations spécialisées naquirent ensuite : tunnels dépressurisés à circulation d'eau pour l'étude de la cavitation (le premier fut construit par Parsons en Angleterre dans les dernières années du xixe siècle) ; cuves spécialisées pour l'étude du navire sur une mer venant d'une direction quelconque, régulière puis irrégulière ; bassins spéciaux pour l'étude de la manœuvrabilité...
Au total, il n'est guère de phénomène relevant de l'hydrodynamique navale qui ne puisse faire aujourd'hui l'objet d'une approche sur modèle réduit.
Si le développement de l'hydrodynamique navale repose donc très largement sur l'expérience, il s'appuie aussi, et de plus en plus, sur la théorie. En particulier, la formation des vagues de surface par le navire, problème spécifique de l'hydrodynamique navale, a suscité depuis l'origine, et suscite encore aujourd'hui, l'intérêt le plus marqué de la part des meilleurs spécialistes. Les travaux sur le sujet ont d'ailleurs conduit à la mise au point de méthodes tout à fait originales.
Les intersections avec d'autres disciplines sont grandes pour certains problèmes : c'est ainsi que les méthodes de calcul des hélices marines, et des surfaces portantes en général, ont largement profité de l'effort important réalisé en aérodynamique.
Dans tous les cas, la théorie progresse au même rythme que les moyens de calcul, c'est-à-dire exponentiellement, et l'on peut optimiser les projets avec une bonne approximation, l'expérimentation sur modèle continuant à jouer un rôle important dans la vérification des lois élémentaires et la prévision des performances globales du navire. Quant aux essais à la mer, ils restent certainement l'arbitre ultime auquel s'en remettent traditionnellement constructeur et armateur du navire.
Résistance à la marche et dessin des formes de la carène
Si l'étude de la résistance à la marche – c'est-à-dire l'étude des forces qui s'opposent au mouvement d'avance du navire – a constitué pratiquement pendant de nombreuses années l'unique chapitre de l'hydrodynamique navale, elle demeure encore aujourd'hui fondamentale car elle conditionne très largement le choix des formes de la carène.
Les composantes de la résistance ; la « méthode des modèles »
Mise à part la traînée des superstructures, relativement faible (2 à 3 p. 100 du total) et d'ailleurs facile à calculer compte tenu du fait qu'il s'agit de corps à arêtes vives, ces forces ont essentiellement deux causes : la présence d'une surface libre d'une part, la viscosité de l'eau d'autre part. Avec une bonne approximation on peut admettre – hypothèse de Froude – que ces deux causes sont indépendantes.
La « résistance de vagues » Rw est sous la dépendance du nombre de Reech-Froude F = V/√gL (où g représente l'accélération de la pesanteur, L la longueur du navire et, V sa vitesse), ce qui signifie que, à F donné, le coefficient de résistance de vagues Rw/Δ (avec Δ le déplacement du navire) ou Cw = Rw/(1/2)ρSV2 (ou ρ représente la masse volumique de l'eau, S une surface de référence appelée surface mouillée de la carène) est le même pour deux carènes semblables.
La « résistance visqueuse » Rv dépend de son côté du nombre de Reynolds R = VL/ν (ν est la viscosité cinématique de l'eau égale à 1,1 . 10—6 m2/s) et de la rugosité relative de la carène qu'on caractérise par un rapport k/L, où k est le diamètre des grains de sable qui, collés sur la carène, produiraient le même effet que la rugosité réelle.
Au total, le coefficient de résistance hydrodynamique est de la forme :

Pour prévoir la résistance hydrodynamique d'un navire, on procède en général à des essais sur modèle réduit. Il faut en principe réaliser à cet effet l'égalité, pour le modèle (m) et pour le navire (s), des paramètres sans dimension F, R et k/L ; mais on s'aperçoit immédiatement que les trois conditions correspondantes sont impossibles à réaliser simultanément, à moins évidemment de travailler à l'échelle 1 !
Pour passer outre à cette impossibilité théorique, on a recours à un artifice dû à Froude : on se place en similitude de Reech-Froude (Fm = Fs, d'où Cwm = Cws) et l'on fait une correction pour tenir compte de la non-égalité des nombres de Reynolds du modèle et du réel. On a alors Chs = Chm — (Cvm — Cvs). La « correction de frottement » qui permet de passer de Chm à Chs est négative compte tenu que Rm < Rs ; elle est, en valeur absolue, comprise entre 0,15 et 0,25 Cvm.
Ordre de grandeur de la résistance à la marche
La figure 1 fournit, pour les navires classiques de surface, l'ordre de grandeur de leur résistance hydrodynamique « spécifique » Rh/Δ et la part prise par la résistance de vagues dans cette résistance hydrodynamique, en fonction du nombre de Reech-Froude F d'utilisation. On notera l'influence considérable de F sur la résistance : Rh/Δ est par exemple cent fois plus grand en moyenne pour une vedette que pour un pétrolier.
La résistance des sous-marins en surface est, à F donné, sensiblement plus grande que celle qui est indiquée par la figure 1. Cela tient à ce que les sous-marins modernes, avant tout dessinés pour la navigation en plongée, sont de médiocres navires de surface. En plongée profonde, en revanche, leur résistance de vagues est nulle ; seule subsiste alors la résistance visqueuse.
La résistance des navires rapides non classiques, hydroptères ou aéroglisseurs marins, est difficile à analyser dans les mêmes termes.
Résistance visqueuse. Importance de l'état de surface de la carène
Comme on l'a vu plus haut, la connaissance de la résistance visqueuse est nécessaire pour pouvoir appliquer la méthode des modèles mais, malgré les progrès réalisés dans le calcul des couches limites tridimensionnelles, il est encore assez rare qu'on effectue un véritable calcul complet de l'écoulement autour d'une carène de forme quelconque ; on a donc recours ici encore à des approximations, d'autant plus justifiées d'ailleurs que le coefficient Cv de résistance visqueuse n'intervient en fait que par la différence des valeurs qu'il prend pour le navire et pour le modèle.
Pratiquement, la résistance visqueuse de la carène est celle d'une plaque plane rugueuse qui aurait même longueur et même surface mouillée, multipliée par un coefficient de forme compris entre 1,05 (navires très rapides) et 1,25 (gros pétroliers par exemple).
L'analyse de la résistance visqueuse met en évidence l'influence sensible de la rugosité de la coque, qui dépend elle-même essentiellement de la peinture utilisée et du soin avec lequel elle a été appliquée. La rugosité k d'un navire neuf pouvant varier en gros de 0,1 à 0,3 millimètre, on peut constater des différences de résistance totale considérables pour des navires réputés identiques, à leur état de surface près ; des différences de 20 p. 100 au moins ne sont pas exceptionnelles dans le cas de navires gros et lents, pétroliers par exemple.
De même, l'accroissement de la rugosité de la coque au cours de la vie du navire explique la nécessité de procéder à un « carénage » – c'est-à-dire de la nettoyer et de la repeindre – à intervalles réguliers de manière à lui redonner son niveau initial de performances.
Tout ce qui vient d'être dit jusqu'ici suppose implicitement que la carène est suffisamment bien profilée pour qu'il ne se produise pas de décollement dans l'écoulement. S'il n'en est pas ainsi (navires aux formes arrière pleines), la résistance visqueuse est majorée d'une « résistance de remous » difficile à calculer. Des remous peuvent aussi être provoqués par les appendices de coque du navire : pour un navire moderne, la résistance des appendices peut représenter jusqu'à 15 ou 20 p. 100 de la résistance de la carène nue, et même jusqu'à 100 p. 100 pour un sous-marin en plongée périscopique.
Résistance de vagues
Un navire qui se déplace à la surface de l'eau engendre un champ de vagues dont les caractéristiques essentielles, quand le mouvement est permanent, sont les suivantes (cf. photo) :
– le champ de vagues est fixe par rapport au navire ;
– il n'intéresse qu'une partie de la surface libre, au voisinage du navire et sur son arrière ; à quelque distance sur l'arrière du navire les vagues sont contenues dans un angle de demi-ouverture de 200 environ si la profondeur d'eau est grande ;
– dans cette zone, on peut assez aisément distinguer deux systèmes de vagues, des « vagues transversales » et des « vagues divergentes », qui viennent se confondre sur les bords du champ ;
– dans le cas d'une carène comportant une partie cylindrique développée (pétrolier par exemple), le champ de vagues apparaît comme la superposition de deux champs élémentaires issus, le premier de l'avant du navire, le second de l'arrière.
L'existence d'une résistance de vagues Rw, même pour un navire en mouvement uniforme dans un fluide parfait, et ses caractéristiques essentielles découlent de l'existence et des caractéristiques du champ de vagues.
En fonction du nombre de Reech-Froude F, le coefficient de résistance de vagues Cw présente des oscillations (fig. 2) qui sont dues à l'interférence entre vagues de l'avant et vagues de l'arrière. Quand les vagues transversales de ces deux systèmes sont en phase, elles ont tendance à se renforcer : l'énergie totale du champ de vagues, donc le coefficient de résistance Cw, passent par un maximum ; c'est l'inverse qui se produit quand les vagues transversales sont en opposition de phase. Les valeurs de F favorables et défavorables dépendent essentiellement de la répartition longitudinale des volumes, c'est-à-dire du rapport du volume de la carène au volume du cylindre longitudinal circonscrit.
La théorie confirme qualitativement les résultats fournis par l'expérience mais, malgré des progrès indéniables depuis Michell (1898) et l'emploi de calculateurs de plus en plus puissants, il est encore impossible de calculer la résistance de vagues d'un navire de formes courantes avec une précision telle que l'on puisse se passer d'essais de modèles.
La méthode de base la plus couramment utilisée pour calculer Rw est la méthode de Havelock (1932) qui consiste à remplacer la carène par des singularités mathématiques du type sources (ou doublets) distribuées sur sa surface. On prolonge mathématiquement l'écoulement au-dessus de la surface libre en remplaçant celle-ci par des singularités images de manière à satisfaire aux conditions aux limites ; on montre que cette assimilation carène-singularités est non seulement valable du point de vue cinématique (le champ de vagues calculé loin sur l'arrière de la carène est très semblable au champ de vagues mesuré) mais également du point de vue dynamique, les forces de pression sur la carène étant ici remplacées par les forces qui s'exercent fictivement sur les singularités qui constituent la carène proprement dite.
Formes de carène
L'expérience aussi bien que la théorie montrent l'importance fondamentale du nombre de Reech-Froude pour le tracé des formes de carène. Schématiquement, on peut distinguer trois types de navires selon leur degré de vitesse :
– Si F est petit (cas des pétroliers, des vraquiers, des cargos lents), les interactions entre vagues de l'avant et de l'arrière sont faibles, et l'on peut adopter des formes conduisant à un coût de construction faible, c'est-à-dire des formes pleines comportant une partie cylindrique d'autant plus développée que F est petit. La partie avant doit toutefois être suffisamment longue pour ne pas créer une vague d'étrave trop prononcée ; l'adjonction d'un gros « bulbe », c'est-à-dire d'un renflement sous la flottaison, est également utile de ce point de vue. La partie arrière doit de son côté être suffisamment développée pour qu'il ne se produise pas de remous tourbillonnaires trop importants.
– Les navires qui naviguent au-delà du dernier « creux » de résistance (porte-avions, frégates, corvettes, vedettes) sont encore relativement faciles à dessiner ; plus F est grand, plus les formes se tendent et, pour les navires naviguant au voisinage de la dernière bosse (F ≈ 0,5), le plus important est de réduire au minimum la surface du maître-couple.
– Les navires (cargos rapides, porte-conteneurs, paquebots) qui naviguent entre l'avant-dernière bosse et le dernier creux (F ≈ 0,3-0,35) sont en revanche difficiles à dessiner en raison des interférences entre vagues de l'avant et de l'arrière ; leurs formes, nécessairement galbées, sont généralement améliorées par l'adjonction à l'avant d'un bulbe, qui a pour effet de créer un système de vagues propre s'opposant au système de vagues de l'avant. On a même pu montrer théoriquement, et vérifier expérimentalement, que l'adjonction d'un deuxième bulbe à l'arrière – solution toutefois irréaliste – permettrait de réduire pratiquement à zéro la résistance de vagues d'un navire pour une valeur donnée de F.
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Écrit par
- Serge BINDEL : ingénieur général de l'armement (génie maritime), expert agréé par la Cour de cassation, membre de l'Académie de marine
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