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NE TOUCHEZ PAS LA HACHE (J. Rivette)

Depuis son premier long-métrage, Paris nous appartient (1960), en passant par Out 1 (1970), L'Histoire des treize d'Honoré de Balzac est pour Jacques Rivette une source d'inspiration. L'adaptation du volet central de la trilogie balzacienne, La Duchesse de Langeais, ne saurait donc surprendre, même si le thème de la société secrète n'y occupe qu'une place accessoire et que Montriveau et ses amis font pâle figure par rapport aux « Treize » que décrit Balzac (« certainement remarquables par quelques-unes des qualités qui font les grands hommes »).

Le général Armand de Montriveau (Guillaume Depardieu), militaire éprouvé par la fin du rêve napoléonien, et peu au fait des coutumes de la cour, tombe amoureux d'Antoinette de Navareins (Jeanne Balibar), duchesse de Langeais, une coquette du faubourg Saint-Germain. Celle-ci attise leur relation tout en se refusant à lui. Lorsqu'il choisit de se venger, c'est elle qui se retrouve éprise, tandis qu'il se révèle inflexible. Enfin, par un ultime retournement, lorsqu'elle prendra le voile, Armand la poursuivra durant cinq années avant de la retrouver dans un couvent dont il ne la sortira que morte...

Comme il l'avait fait dans Suzanne Simonin, la Religieuse de Denis Diderot (1965-1966), Jacques Rivette se montre fidèle à la lettre du texte de Balzac, n'écartant que les longues considérations du romancier sur la Restauration, et quelques détails. Il n'adapte pas, n'invente pas d'« équivalences » visuelles au texte littéraire, laissant la mise en scène seule prendre en charge le discours, comme dans le meilleur du cinéma muet, auquel renvoient les cartons qui scandent la progression dramatique. Comme il l'affirmait en 1956, seul importe « le jeu de l'acteur et du décor, du verbe et du visage, de la main et de l'objet ». Si Ne touchez pas la hache nous renvoie inévitablement à ces modèles du film littéraire que sont La Marquise d'O. ou L'Anglaise et le duc, d'Éric Rohmer, là où ce dernier s'attache en quelque sorte au gestus, Rivette se veut plutôt du côté des conventions (dictées par le « monde » et le politique) ou des manières, expression d'une stratégie amoureuse elle-même conditionnée par la société comme par l'histoire individuelle.

Pour Rivette, la duchesse de Langeais est le pur produit de ce faubourg Saint-Germain longuement décrit par Balzac, alors que l'aristocratie de la Restauration s'est réfugiée derrière les façades de ses hôtels particuliers, coupée des classes qu'elle ne sait plus dominer, lui préférant son intérêt particulier. Chez son amie Clara de Sérizy, Antoinette apparaît d'ailleurs comme une actrice sortant des coulisses d'une scène de théâtre. Si elle accapare Montriveau, présenté comme « le plus sombre et le plus ennuyeux des hommes », c'est qu'il est celui dont tout le monde parle et dont la fréquentation affichée ne saurait que rehausser son image comme son pouvoir. Le général, quant à lui, est le produit d'une autre histoire, passée celle-là, celle qui se confond avec l'épopée napoléonienne. Ses manières se veulent « sans manières », directes, simples, comme au combat. La démarche mécanique et la claudication de Guillaume Depardieu restituent parfaitement son lourd passé de gloire puis d'échec, que la beauté d'Antoinette pourrait seule sublimer.

Jusqu'au rôle du hasard (le retard d'une pendule qui empêchera l'union des amants), Ne touchez pas la hache est bel et bien un « conte moral ». Il peint soigneusement la méconnaissance que les héros ont d'eux-mêmes et la façon dont chacun vient servir de révélateur à l'autre. En choisissant de donner à son film le titre initialement choisi par Balzac pour La Duchesse de Langeais, Ne touchez pas la hache[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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