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NÉANT

« L'homme est l'être par qui le néant arrive au monde »

Malgré la part faite aux références germaniques, c'est à partir de Descartes que Jean-Paul Sartre va élaborer une ontologie dualiste indiquée par le titre même de son ouvrage L'Être et le Néant et dont la première partie porte sur « le problème du néant ». En face de la massivité, de la matérialité de l'être des choses qui ne sont jamais que ce qu'elles sont et coïncident avec leur essence, l'homme ne prend conscience des choses et de lui-même que dans une non-coïncidence : « Il est ce qu'il n'est pas et il n'est pas ce qu'il est. » C'est pourquoi « l'homme n'est d'abord rien », mais ne cesse de se projeter au devant de lui-même, au-delà de toute essence et de toute nature. Toute action humaine est négation ou plutôt « néantisation », car le néant ne résulte pas du jugement mais le précède et le fonde. Reprenant l'exemple bergsonien de l'attente, Sartre montre qu'il y a bien expérience de l'absence et non pas seulement absence d'expérience. « Je m'attendais à voir Pierre et cette attente a fait arriver l'absence de Pierre comme un événement réel concernant le café ; c'est un fait objectif maintenant que cette absence. »

Néantir n'est ni méconnaître (je ne sais pas ce qui se passe dans mon dos) ni supprimer ; il y a une réalité phénoménologique du néant. Sartre accordera une importance particulière à l'imagination parce que l'image renvoie à un objet existant ailleurs ou n'existant pas. « La conscience imageante, écrit-il dans l'Imaginaire, pose son objet comme un néant. »

Si l'homme a la possibilité de nier telle ou telle partie du monde, s'il est celui qui fait éclore le néant dans le monde, c'est qu'il porte en quelque façon le néant en lui. « Cette possibilité pour la réalité humaine de sécréter un néant qui l'isole, Descartes, après les stoïciens, lui a donné un nom : la liberté. » Comprenons que la liberté n'est pas une propriété attribuée parmi d'autres à une nature humaine. Être libre et être homme sont équivalents. C'est ainsi que s'associent les thèmes du néant, de la liberté et de l'angoisse comme saisie du néant aussi bien que saisie réflexive de la liberté : « Coupé du monde et de mon essence par ce néant que je suis, j'ai à réaliser le sens du monde et de mon essence, j'en décide seul, injustifiable et sans excuse. » Sartre a retenu de la dialectique hégélienne la « puissance du négatif », mais il ne la reconnaît que dans la seule activité humaine. Il conclut ainsi à un dualisme ontologique foncièrement athée : la liberté néantisante transcende un être qui s'identifie à la matérialité brute et muette.

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire de philosophie, université de Paris-Sorbonne

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