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NÉCESSITÉ

L'usage courant rapproche la nécessité de l'idée de destin, c'est-à-dire de l'advenue d'un événement inévitable. Est « nécessaire », en effet, ce qui ne peut pas ne pas être ou ce qui ne peut pas être autrement qu'il n'est. Dans le Timée, Platon (428-347 av. J.-C.) rencontre déjà la nécessité (anankè) sous la figure de l'inexorable : le démiurge qui se trouve à l'origine de l'ordre du monde est obligé de composer avec une matière qu'il n'a pas choisie. Dans ce cadre cosmologique, le danger est celui d'une nécessité dénuée de finalité et de sens qui s'apparenterait au chaos, ce pourquoi il faut penser le cosmos comme un mixte de nécessité et d'intelligence. La nécessité apparaît donc d'abord comme une figure de l'irrationnel puisqu'elle limite l'action du dieu et semble exclure l'intervention des hommes.

Mais, comble de l'absurde, la nécessité n'est-elle pas aussi le présupposé de la science ? Il revient à Aristote (385 env.-322 av. J.-C.) d'avoir le premier envisagé ce paradoxe. D'un strict point de vue logique, est nécessaire ce dont on ne peut concevoir le contraire (Métaphysique, V, 5). En ce sens, la conclusion d'une démonstration est nécessaire lorsque le syllogisme présente la cause pour laquelle une chose est telle et non autrement. S'il n'y a de science que du nécessaire, c'est parce que la connaissance suppose la constance. La nécessité est donc la modalité même du discours scientifique qui établit rigoureusement les causes : il ne saurait être question d'une science du contingent (ce qui peut être autre qu'il n'est). Mais faut-il en conclure que tout, dans le monde, est nécessaire ? Ce serait ôter toute utilité à la délibération et toute chance à l'action de peser sur les événements. Contre le « fatalisme logique » qui conduit à une conception irrationnelle de la nécessité, Aristote rappelle les droits de la contingence dans le monde humain. Surtout, il introduit une distinction capitale entre la nécessité (réelle) des choses et celle (logique) des propositions : l'existence n'est pas réductible à la logique et il y a toujours place, dans le monde « sublunaire » et humain, pour l'incertain (De l'interprétation, IX).

L'histoire du concept oscille dès lors entre les positions « réalistes » qui considèrent que la nécessité est dans les choses et les positions « idéalistes » pour lesquelles elle ne caractérise que les jugements et les raisonnements. La thématique stoïcienne du « destin » ou le concept spinoziste de « substance » participent de la première option. La nécessité ne saurait, dans une telle perspective, être une simple idée, elle désigne la modalité ontologique du réel pris comme un tout. Loin d'être un signe négatif, la nécessité est la marque de la perfection de ce qui est. Cette promotion de la nécessité ne va pas sans une critique de la notion de « possible ». Il n'y a donc nulle place ici pour le libre-arbitre ou toute autre faculté humaine de dépasser l'ordre absolument nécessaire de la nature. Quant aux supposées « exceptions » à la nécessité (choix libre, miracle), elles ne sont selon Spinoza (1632-1677) que chimères forgées (nécessairement) par l'imagination.

Leibniz (1646-1716) distingue, lui, entre les « vérités éternelles » (celles de la logique et des mathématiques) qui sont absolument nécessaires et valent pour tous les mondes possibles et les « vérités de fait » qui régissent les événements et qui, sans être arbitraires, ne sont nécessaires que conditionnellement. Notre monde n'est pas absolument nécessaire, puisque d'autres mondes seraient possibles (non contradictoires), mais il est pourtant le meilleur des mondes possibles puisque Dieu l'a choisi[...]

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