NECROLESTES PATAGONENSIS
Necrolestespatagonensis (pilleur de tombes de Patagonie) est une espèce animale fossile qui a longtemps fait l'objet de discussions concernant sa place au sein des mammifères. Il s'avère aujourd'hui que ce mammifère fouisseur mangeur d'insectes, qui semblait avoir disparu à la fin du Mésozoïque, il y a environ 65 millions d'années (Ma), a vécu jusqu'au Miocène, il y a 16 Ma, et qu'il appartient à un groupe de mammifères non thériens – les mammifères thériens étant représentés par les placentaires et les marsupiaux – (G. W. Rougier et al., « The Miocene mammal Necrolestes demonstrates the survival of a Mesozoic nontherian lineage into the late Cenozoic of South America », in Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 109, pp. 20 053-20 058, 2012).
Necrolestes patagonensis fait son entrée dans le registre paléontologique en 1891 quand Florentino Ameghino rend compte des découvertes de son frère Carlos, qui explore les couches fossilifères (aujourd'hui datées du Miocène) traversées par le rio Santa Cruz dans le sud de l'Argentine. Bien que les restes mis au jour de ce fossile soient assez complets – le crâne (35 mm de longueur) et les os des membres –, il fut considéré d'emblée comme une énigme. Dans la description initiale, Ameghino le compare à la taupe dorée d'Afrique du Sud, mais rejette l'idée qu'il s'agisse d'un mammifère placentaire (Eutheria) et le rapproche, faute de mieux, du groupe des marsupiaux (Metatheria). Son régime insectivore ne fait pas de doute et ses pattes antérieures sont celles d'un fouisseur ; en particulier l'humérus est très puissant, comme celui de la taupe. Depuis lors, à différentes reprises, notamment à l'occasion de nouvelles découvertes fossiles attribuées à cette espèce, Necrolestes a fait l'objet de plusieurs études, mais son statut taxonomique est toujours resté indécis. Sans doute fallait-il mieux connaître l'histoire des mammifères au cours du Mésozoïque pour que celle-ci nous éclaire sur les origines de ce groupe ? Parallèlement, l'arrivée de nouvelles techniques de radiographie (microCTscanner) permettent aujourd'hui d'analyser précisément l'anatomie des fossiles.
Depuis le début des années 2000, les découvertes de fossiles de mammifères du Mésozoïque se sont multipliées sur tous les continents et ont révélé une foisonnante diversité dans ce groupe que l'on a longtemps considéré comme étant apparu à la fin de cette ère. En particulier, la mise au jour en 2011, dans le Crétacé d'Amérique du Sud (95 Ma), d'un mammifère primitif, nommé Cronopio, spécifique à ce continent et appartenant à la lignée des Meridiolestida, a été une étape décisive pour l'interprétation de Necrolestes. Cette lignée présente bien des similitudes avec les monotrèmes (ornithorynque et échidnés) dans le mode d'implantation des dents et la région auditive. Ces caractères primitifs des Meridiolestida les séparent des thériens (groupe comprenant les Eutheria et les Metatheria). Dans la mesure où Necrolestes partage les mêmes caractères, il convient de le rapprocher de ce rameau primitif de non-thériens.
George Gaylord Simpson avait déjà souligné en 1980 l'originalité des faunes du continent sud-américain, conséquence de son isolement géographique. Ses faunes ont ainsi été tenues à l'écart de celles des autres continents pendant plus de 50 Ma, du début du Cénozoïque (vers 65 Ma) vers la fin du Miocène (vers 7 Ma), avec toutefois deux périodes d'incursion. Les marsupiaux et placentaires, venus d'Amérique du Nord au début du Cénozoïque (première vague d'incursion), s'y sont certes diversifiés et plusieurs ordres spécifiques à cette région y sont apparus. À la fin de l'Éocène, il y a 34 Ma, on note une nouvelle vague d'immigration[...]
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Écrit par
- Jean-Louis HARTENBERGER : directeur de recherche émérite au CNRS
Classification
Média