NÉCROPOLIS D'ALEXANDRIE (archéologie)
La Nécropolis d’Alexandrie, la « ville des morts » comme la nomme le géographe Strabon à l’époque d’Auguste, ressurgit à la lumière en 1997 : les premiers travaux de construction d’une autoroute urbaine au lieu-dit Gabbari entraînent de telles découvertes que les autorités égyptiennes confient ce chantier archéologique au Centre d’études alexandrines, dirigé par Jean-Yves Empereur. Seule une petite partie de ce gigantesque cimetière – à l’échelle de la ville la plus grande de l’Antiquité après Rome –, utilisé du iiie siècle avant J.-C. au viie siècle après J.-C., a pu être étudiée. Mais la rigueur et l’inventivité scientifiques de la fouille permettent de reconstituer une image étonnamment vivante des soins que les Alexandrins apportaient à leurs disparus et de l’évolution des Grecs d’Égypte face à la mort.
Alexandrie est à l’origine une ville de Macédoniens, de Grecs venus surtout d’Asie Mineure, à qui s’ajoutent de nombreux Judéens, et bien sûr des Égyptiens, aristocrates qui fréquentent la cour ou gens du peuple. Ces groupes se côtoient et créent peu à peu une civilisation originale jusque dans ses rapports avec les morts. Quelques tombes monumentales de tradition macédonienne sont édifiées à l’est, au-delà des palais royaux. On trouve un emplacement à l’ouest, dans l’espace très limité entre la Méditerranée et le lac Mariout, qui suffit déjà à peine aux vivants, pour ce qui deviendra la « ville des morts ».
Cette nécropole, on la creusera dans le calcaire sableux, autour d’une cour où la famille célèbre les rites funéraires ; sur les côtés, des chambres funéraires, puis de simples loculi, emplacements d’un cercueil ou d’une momie, superposés sur quatre à cinq niveaux, accueillent les morts. Le stade suivant est celui des tombes collectives prises en charge par des entrepreneurs de pompes funèbres, propriétaires du rocher à creuser : ce sont déjà des catacombes (le mot sera créé à Rome), où s’étendent des couloirs de loculi. Lorsqu’un couloir atteint une longueur définie, un nouvel escalier est creusé, qui permet de descendre d’un étage ; l’exploitation s’étendra de cette façon pendant dix siècles.
Les morts gardent leurs droits aux honneurs, rites et banquets funéraires. Macédoniens et Grecs pratiquaient l’inhumation, mais surtout la crémation, ce qui devait paraître une abomination aux Égyptiens, qui croyaient à la survie dans l’au-delà. Si les Grecs avaient des idées moins nettes, la crémation ne représentait pas pour eux, comme dans d’autres civilisations, un moyen de faire disparaître le défunt dans l’atmosphère, mais une forme particulière de conservation. La combustion détruisait les chairs putrescibles, mais s’arrêtait quand les os étaient blancs. Ils étaient alors recueillis dans une urne. À Alexandrie, un grand nombre de ces urnes – les hydries de Hadra – avaient une forme et un décor particuliers. La fouille minutieuse des hydries de Gabbari a montré que les os étaient – plus ou moins – soigneusement rangés des pieds au crâne, comme si le squelette avait été resserré sur lui-même.
La curiosité des Grecs pour les pratiques égyptiennes fut très grande, et le sort fait aux défunts a dû leur paraître enviable. En tout cas, dès le iie siècle avant J.-C., période où l’on constate un renforcement de l’influence égyptienne, la nécropole de Gabbari livre des traces de pratiques de momification, qui se traduisent également par des modifications de l’architecture et du décor des tombes. À partir du iiie siècle après J.-C., des pratiques chrétiennes trouvent place à leur tour.
La fouille de Gabbari marque une étape importante dans l’archéologie de la mort : il ne s’agit plus simplement de recueillir les objets déposés dans les tombes et de relever l’architecture du monument. Les anthropologues[...]
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Écrit par
- Olivier PICARD : professeur émérite à la Sorbonne, membre de l'Institut
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