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NÉGATIONNISME

L'exploitation des circonstances

De 1945 à la fin des années 1960, la conscience de l'étendue et de la nature des crimes perpétrés par le régime nazi et ses complices avait rendu inacceptable, ou malaisé à faire entendre, un discours antisémite largement répandu avant la guerre. C'est pourquoi ni les écrits de Bardèche et de Rassinier ni ceux de leurs correspondants étrangers ne rencontrèrent d'écho au-delà d'un cercle essentiellement composé de nazis, d'anciens de la collaboration et de militants d'extrême droite. En revanche, à partir des années 1970, les circonstances favorisant la diffusion du négationnisme se multiplient.

En France, la parution des articles de Faurisson s'inscrit dans une série d'événements qui contribuent à rappeler le passé collaborationniste, refermé officiellement depuis l'épuration de 1945 : interview déjà mentionnée de Louis Darquier dans L'Express ; diffusion par la télévision française, qui s'y était jusque-là refusée, de Holocauste, fiction télévisée américaine sur le sort des juifs pendant la guerre, vue dans le monde entier et dont la forme surtout déclenche des polémiques ; mais aussi, en 1979, inculpation pour crimes contre l'humanité de Jean Leguay, ancien délégué en zone occupée du secrétaire général de la police sous Vichy, René Bousquet, et responsable à ce titre de la déportation des juifs, une inculpation qui ne débouche pas sur un procès (Leguay meurt en 1989, au moment où, après dix ans, son dossier aboutit) mais qui précède et annonce celles de l'ancien milicien Paul Touvier en 1981, de Maurice Papon et de Klaus Barbie deux ans plus tard.

La recrudescence du négationnisme traduit aussi, sous une forme paroxystique, une modification progressive du regard porté sur les juifs dans le monde, en rapport avec l'évolution géopolitique d'Israël. Déjà, les partis communistes aux ordres de Moscou, peu après avoir, stratégiquement, soutenu puis salué la création de l'État d'Israël en 1948, s'étaient mis à dénoncer le « cosmopolitisme », qu'ils qualifièrent bientôt de « sionisme ». L'expédition de Suez en 1956 avait fait apparaître Israël comme l'allié des puissances occidentales dans la région. Mais c'est avec la victoire militaire des Israéliens lors de la guerre des Six-Jours de juin 1967 que cette évolution se radicalisa.

Pour la gauche française dans son ensemble, protester contre une politique israélienne d'expansion et de répression, défendre les droits des Palestiniens, soutenir leur revendication d'un État n'entraîna pas, ni sur le moment ni par la suite, le moindre dérapage antisémite, aussi chargé et inextricable que semblait être le conflit israélo-palestinien. Dans l'extrême gauche cependant, ce changement géopolitique conduisit certains à de véritables révisions. Il y avait en somme deux images. Celle de rescapés du plus effroyable des massacres, trouvant enfin un pays – Israël – où vivre en paix et libres d'être juifs. Et celle d'agents « sionistes » de l'impérialisme américain, persécutant les Palestiniens. La guerre des Six-Jours permettait enfin d'effacer la première image, de ne plus voir que des bourreaux dans les anciennes victimes, des oppresseurs dans les anciens opprimés et – luxe inouï –, elle autorisait l'inversion suprême, traiter des juifs de nazis. Dix ans plus tard, pour une poignée de militants, qui venaient de connaître, après Mai-68, une longue période de quasi-chômage politique, les « conclusions » de Faurisson arrivèrent à point nommé, autrement plus audibles désormais que celles auxquelles était parvenu Rassinier, disparu au moment de la guerre des Six-Jours.

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