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NÉGRITUDE

Le terme « négritude », forgé dans les années 1930 par un groupe de poètes et d'étudiants africains et antillais francophones, recoupe des aspirations tant politiques qu'esthétiques ou identitaires. Une ambiguïté qui s'est révélée presque malgré elle plus dynamique qu'handicapante.

La voie de la poésie

Dans un Occident colonial francophone, au racisme plus ou moins explicite (« Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France », écrit L. S. Senghor dans Hosties noires, 1948), et alors que l'histoire de l'Afrique est niée, se forment des contestations. Dès le début des années 1930, la revue Légitime Défense, liée d'une part au surréalisme (le titre est un « emprunt » à André Breton) et d'autre part au marxisme, se fait l'écho radical et politique de la révolte des Noirs. Cette dernière n'est évidemment pas neuve, mais elle se structure progressivement, se dote d'un corpus théorique (éclaté, parfois inconciliable), littéraire et politique. En 1934, à Paris (soit dans l'un des principaux pays colonialistes), Aimé Césaire (1913-2008), Léopold Sédar Senghor (1906-2003) et L. G. Damas (1912-1978), entre autres, créent la revue L'Étudiant noir, qui devient l'organe fondateur de la négritude (un mot proposé par Césaire). Si le terme est, à ses débuts, influencé par la philosophie des Lumières, le panafricanisme et, dans une certaine mesure, le marxisme, il ne recouvre pas à proprement parler une doctrine ferme et cohérente. Chercher à en fixer le sens amène inéluctablement à en rétrécir la portée. Il n'est en effet pas anodin que ce soit principalement par la poésie et la littérature que la négritude ait trouvé ses expressions les plus pertinentes. Si les noms de Senghor et de Césaire la symbolisent, elle ne se limite pas, loin de là, à ces deux poètes. En 1948, paraît, préfacée par Jean-Paul Sartre, l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, de L. S. Senghor. Présentant une quinzaine de poètes à l'inspiration très hétérogène, elle popularise des œuvres jusque-là ignorées : « Insulté, asservi, [le Noir] se redresse, il ramasse le mot de nègre qu'on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du Blanc, dans la fierté » (J.-P. Sartre, « Orphée noir »). Peut-être alors faut-il, face à la pluralité de définitions données au terme par ses auteurs, et par de nombreux exégètes, opter pour l'une des propositions de Senghor : la négritude serait d'abord « un mot de passe » (Liberté I, 1952).

Outre l'aspect définitionnel, une deuxième difficulté surgit : après les années 1930, la négritude a connu une évolution naturelle au regard des réajustements opérés par ses promoteurs et de l'histoire, de ses transformations et de l'apport parfois critique de nouvelles générations. Il est fréquent, dès lors, de repérer des phases différentes ou successives. Toutefois, la période initiale de la négritude paraît s'achever dans les années 1950, « ce qui ne signifie pas qu'elle ne se manifeste plus, littérairement, par la suite [...] mais qu'elle cesse de se nourrir de la réalité historique » (M. Hausser, Essai sur la poétique de la négritude). La revue Présence africaine, créée en 1947, et les deux congrès mondiaux, en 1956 (Paris) et 1959 (Rome), des écrivains et artistes noirs témoignent que l'actualité de la négritude perdure néanmoins au long des années 1950.

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Écrit par

  • : maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch

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