NEGRO SPIRITUAL ET GOSPEL
Aux origines : les spirituals
L' esclavage a signifié, pour les Africains enlevés et transbordés en Amérique du Nord, l'obligation de s'adapter aux conditions d'une société nouvelle, elle-même encore inachevée. D'origines très diverses, dispersés autant que faire se pouvait pour que ne se reforment pas des communautés homogènes, ils ont dû fusionner les survivances des civilisations où ils étaient nés pour inventer une sorte de culture panafricaine en exil. Il leur a fallu, également, acquérir certains éléments de la culture des maîtres pour communiquer avec eux. Ainsi, la communauté afro-américaine des États-Unis s'est-elle formée au fil de processus d'innovation complexes qui entrelacèrent des éléments venus de nombreuses sociétés africaines et d'autres pris dans le « stock », lui-même divers, des colons blancs. La religion a fourni un des premiers domaines dans lesquels cette fusion a été réalisée. Le protestantisme, issu, aussi bien dans sa filiation luthérienne que dans son courant méthodiste, d'un souci de rendre la religion au peuple, s'exprimait en des formes (prédication, musique) susceptibles de toucher des individus déportés. Ses messages d'espoir (amour, malgré le racisme, sur la Terre ; rédemption conduisant à un monde meilleur) pouvaient procurer un certain réconfort, d'autant plus que les textes tirés des Livres d'Israël en exil, les récits de la marche vers la Terre promise semblaient recouper l'expérience des esclaves.
Ainsi, quelle qu'ait été la politique officielle quant à l'évangélisation des Noirs, ceux-ci s'emparèrent du christianisme ; à leurs pratiques et à leurs besoins, ils adaptèrent ses chants rituels. Les Awakenings (« réveils ») religieux qui scandèrent la vie américaine après 1740 (et notamment entre 1780 et 1830) suscitèrent des rencontres (au cours des Camp Meetings) et des échanges qui jouèrent probablement un rôle important dans la création des premiers chants noirs. Il est possible que, dès 1760, des répertoires propres aux Afro-Américains aient existé. À la fin du xviiie siècle, en tout cas, apparaissent les premières congrégations baptistes et méthodistes noires, et c'est en 1816 que Richard Allen fonde l'African Methodist Episcopal Church, pour laquelle il écrit des hymnes et compile des hymnaires (où les œuvres d'Isaac Watts figurent en bonne place). Ce n'est toutefois qu'à la fin de la guerre de Sécession que sont entreprises des enquêtes sur les chants religieux noirs. Un nombre important de negro spirituals sont alors recueillis et publiés, en même temps que certaines pratiques régionales sont décrites. Dans les Sea Islands, au large de la Georgie et des Carolines, les services incluent des rondes à pas glissés (ring shouts) et les chants témoignent de rémanences africaines. Ailleurs, les spirituals indiquent la puissance innovatrice des Noirs : dans la musique, dans la langue, dans la reconstruction positive d'un monde qui leur était hostile et d'où les cantiques pouvaient aider à s'échapper en transmettant des messages codés.
Certains de ces chants survivront à l'esclavage dans les versions qui en ont été notées. Recueillis par des oreilles formées à la musique européenne, ils seront ensuite harmonisés, et occidentalisés encore davantage, par des chorales créées au sein d'universités noires nouvellement fondées et dont les tournées aident au financement (Fisk, Tennessee ; Hampton, Virginie ; Ross, Mississippi ; Tuskegee, Alabama). Des compositeurs noirs de musique « classique » en tireront de très belles mélodies (notamment Harry T. Burleigh). Quelques chanteurs continueront à les interpréter (Marian Anderson, Paul Robeson, Jessye Norman, Barbara Hendricks).
Toutefois, plus que le répertoire des spirituals, c'est la pratique[...]
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Écrit par
- Denis Constant MARTIN : directeur de recherche, Fondation nationale des sciences politiques (C.E.R.I.)
Classification
Médias
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