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NEGRO SPIRITUAL ET GOSPEL

La naissance du gospel moderne

Il n'y a donc pas de faille entre la pratique congrégationnelle et les formes plus organisées de chant religieux. La première imprègne les secondes et sert de conservatoire (à la fois mémoire et école) à la communauté. Les compositeurs d'hymnes et de cantiques s'inspirent des polyphonies spontanées pour continuer à fournir les services en matériau musical nouveau. L'hymnaire est en effet un élément essentiel de la communication du sentiment et du savoir religieux : il est le reposoir d'une théologie mise à la portée de tous, et le recueil des images qui la rendent touchante et convaincante. D'où l'importance attachée à la compilation de livres de chant et à la composition de cantiques nouveaux par les pionniers des Églises afro-américaines : l'évêque Richard Allen (1760-1831) et le révérend Charles Tindley (1856-1933) chez les méthodistes, Lucie E. Campbell (1885-1963) chez les baptistes.

Le disque ne fera pas disparaître les hymnaires mais les complétera tout en diffusant certaines formes d'interprétation et en en permettant la commercialisation. Le premier enregistrement de musique religieuse noire semble remonter à 1902 ; il est signé du Dinwiddie Colored Quartet et témoigne de la généralisation du chant à quatre parties (le plus souvent deux ténors, baryton, basse, les « quartettes » étant souvent composés de plus de quatre chanteurs) inauguré par les chorales universitaires. Ces quartettes domineront la scène jusqu'aux années cinquante mais ils n'atteindront leur apogée qu'après l'apparition du gospel moderne.

Sister Rosetta Tharpe - crédits : Charles Peterson / Archive Photos

Sister Rosetta Tharpe

Dans un premier temps, ce sont en effet des prêcheurs et des évangélistes chantants qui bénéficient de la vogue croissante du phonographe. Les sermons des révérends A. W. Nix ou F. W. McGhee se vendent par milliers (et ce genre, le sermon enregistré, suivi, ou non, de chant congrégationnel continue d'avoir grand succès aujourd'hui). Des bardes, combinant parfois répertoires religieux et profane, mettent les modes musicales au service de textes sacrés : dans les années vingt, Arizona Dranes, Blind Willie Johnson ; Sister Rosetta Tharpe continuera cette lignée, que prolongent dans les années quatre-vingt les révérends F. C. Barnes et Janice Brown avec des chants exclusivement religieux.

L'influence des musiques les plus populaires dans les années vingt ( blues, boogie woogie, ragtime, honky tonk music) est donc très sensible chez les artistes religieux. En 1928, le guitariste Tampa Red enregistre un blues plutôt scabreux intitulé It's Tight like that ; la chanson est signée de Georgia Tom, qui l'accompagne au piano. Ce dernier, la même année, compose If You See My Saviour, Tell Him that You Saw Me. À partir de 1930, sous son véritable nom, Thomas A. Dorsey, il se consacrera exclusivement à la musique religieuse, sans pour autant changer de style musical. Utilisant comme tremplin la Convention nationale baptiste, il va bâtir une organisation commerciale sans précédent destinée à diffuser ses compositions. Avec Sallie Martin, il crée en 1932 la Gospel Singers Convention. De grandes voix, comme Willie Mae Ford Smith à Saint Louis ou Mahalia Jackson à Chicago, s'emploient à l'interprétation de ses œuvres.

Sous l'impulsion de Dorsey, l'aggiornamento de la musique religieuse et sa commercialisation organisée signifient la naissance du gospel moderne. Dès lors, de grands compositeurs poursuivront l'œuvre des Tindley et Campbell : Dorsey lui-même (dont le Precious Lord, Take My Hand est presque aussi aimé que Amazing Grace), W. Herbert Brewster, Kenneth Morris, Roberta Martin, James Cleveland. D'autres organisations verront le jour : la National Quartet Convention, la Gospel Singers Workshop Convention, notamment ; en leurs réunions sont présentées les compositions nouvelles[...]

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Marian Anderson - crédits : London Express/ Hulton Archive/ Getty Images

Marian Anderson

Sister Rosetta Tharpe - crédits : Charles Peterson / Archive Photos

Sister Rosetta Tharpe

Golden Gate Quartet - crédits : Michael Ochs Archives/ Getty Images

Golden Gate Quartet

Autres références

  • GOSPEL

    • Écrit par
    • 807 mots

    Version discographique des negro spirituals, le gospel prend son essor aux États-Unis dans les années 1930. Il est à l'origine de nombreuses musiques vocales noires américaines comme le doo-wop et la soul.

    Dans les pratiques musicales des esclaves, le shout*, survivance vivace des traditions...

  • ANDERSON MARIAN (1897-1993)

    • Écrit par
    • 1 248 mots
    • 1 média

    Bien sûr, lorsqu'on évoque la contralto américaine Marian Anderson, il y a le mythe et une vie entière consacrée à la lutte pour l'égalité des droits civiques. L'Amérique d'avant guerre n'est pas tendre pour ces Noirs qui ont la témérité de revendiquer leur part de Constitution, leur morceau...

  • ARMSTRONG LOUIS (1901-1971)

    • Écrit par
    • 1 673 mots
    • 2 médias
    Louis Armstrong, enfin, est un des plus grands chanteurs de l'histoire de la musique négro-américaine et un des plus caractéristiques, également, de cet art vocal si chaleureux qui, dans le même temps, s'épanouit à travers le blues et le spiritual. Sa voix, rugueuse et âpre, va à l'encontre...
  • BLUES

    • Écrit par
    • 3 668 mots
    • 5 médias
    ...qui, joint au banjo et aux morceaux de bois ou d'os qui remplacent les tambours interdits par le « Code noir », enchante aussi les esclaves ; les chants religieux, empruntés pour l'essentiel à la liturgie protestante... d'où naissent, avec le minstrel show, d'abord composé de Blancs...
  • DOO-WOP

    • Écrit par et
    • 920 mots

    Style musical vocal hérité des negro spirituals, variante du rhythm and blues et du rock and roll populaire dans les années 1950 et 1960, le doo-wop est généralement interprété par de petits ensembles vocaux comportant un soliste ténor qui chante la mélodie tandis que trois ou quatre autres chanteurs...

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