ALGREN NELSON (1909-1981)
Né à Detroit, Nelson Algren n'a pas trois ans lorsqu'il vient habiter, avec ses parents, Chicago, où il a grandi et pratiquement toujours vécu. Il travaille pour se payer des études de journalisme, mais lorsque, en 1931, il sort de l'université d'Illinois, on est dans le creux noir de la Dépression, et l'Amérique tout entière semble être sur les routes. Il grimpe clandestinement à bord de wagons de marchandise, vit aux frais de l'Armée du salut, connaît la queue aux soupes populaires, trouve de petits métiers : expériences dont il fera la matière de son premier livre, Somebody in Boots, qui paraît en 1935. Il est ensuite employé par la W.P.A. puis, à la section « maladies vénériennes » du bureau d'hygiène de Chicago, anime avec Jack Conroy la revue Anvil (L'Enclume) ; il fait, de 1942 à 1945, la guerre dans le service médical en Europe, revient à Chicago, la ville dont il a été, avec James T. Farell et Richard Wright, l'un des meilleurs romanciers de sa génération.
Dans Somebody in Boots, Cass Mac Kay, un gosse du Texas, un pauvre Blanc, dérive le long du rail, jusqu'à venir échouer dans la « zone » de Chicago, hillbilly perdu, vivant de petites resquilles et de mégots. C'est un roman sur les bottom dogs, sur le lumpenproletariat qui n'a jamais eu une chance, si profond dans l'ornière de la misère que la dialectique de la lutte des classes ne mord même pas sur lui. C'est aussi un roman sur la promesse trahie et, dans le sillage de Vachel Lindsay, une défense de l'Amérique contre ce qu'elle est devenue.
Bruno Bicek, dit Biceps-le-Gaucher, cherche, dans Never Come Morning (1942), à échapper à la grisaille des taudis en rêvant d'être un jour le plus grand sur le ring. La scène où après avoir emmené Steffie à la fête foraine il la laisse violer dans un hangar par les voyous du quartier est bien plus poignante que toute la fantasmagorie faulknérienne, et le combat de boxe final est sans doute le plus brutalement professionnel de toute la littérature américaine, Hemingway compris.
L'Homme au bras d'or (1949), qui obtint le National Book Award pour 1950 et que traduisit en français Boris Vian, valut à Algren sa première grande notoriété, en partie parce que ce fut l'un des premiers livres sur la drogue. C'est surtout le roman tendre et comique de l'amitié entre Frankie la Distribe « le donneur de brêmes » et le Piaf, semi-clochard ramasseur de chiens, un livre sur les épaves qui s'accrochent encore, plein de scènes de vaudeville drolatique pour mieux cacher le fond de désespoir qu'il comporte.
En 1955, Algren, porté par la vague beat, revint, avec A Walk on the Wild Side, à ses vagabondages des années 1930 dans une fresque picaresque à la Henry Miller : larguant son vieux père imbibé de gnole frelatée et de saintes écritures, un hillbilly du Texas se retrouve dans le quartier chaud de La Nouvelle-Orléans, où il gagne durement sa vie comme protagoniste dans un peep-show. Alors défile toute une galerie de personnages, plus hauts en couleur que ceux des romans sudistes de la même veine.
Quelque part entre Theodore Dreiser et Damon Runyon, la réussite de Nelson Algren a été d'avoir, à partir du parler populaire se mêlant aux rengaines d'un phono nasillard ou à la jactance criarde de l'accordéon, composé une mélodie au rythme insistant qui s'impose avec la langueur nerveuse et la simplicité dépouillée d'un blues.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Autres références
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- Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
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