MANDELA NELSON (1918-2013)
Le combattant de l'ombre et le prisonnier
Le 21 mars 1960, à Sharpeville, la répression policière d'une manifestation pacifique du Pan-Africanist Congress (P.A.C.), parti dissident de l'A.N.C., a fait soixante-neuf morts. Peu après, l'A.N.C. et le P.A.C. sont interdits. C'est un tournant dans la lutte de libération. Mandela est le premier à vouloir relever le défi lancé par le pouvoir blanc. Tirant les conclusions de l'échec des campagnes de protestation non-violente et renouant avec la tradition de combat guerrier des chefs africains, il fonde, en 1961, une branche armée au sein de l'A.N.C. : Umkhonto weSizwe ? M.K., « la lance de la nation » ?, dont il prend secrètement la direction.
C'est une nouvelle vie qui commence alors pour Mandela : entré dans la clandestinité, insaisissable pour la police, il parvient à quitter le pays, à faire une tournée des capitales africaines et à se rendre à Londres pour récolter des fonds. Ce périple, narré par la presse sud-africaine, fait de lui un héros populaire et l'homme le plus recherché du pays. Il sera finalement arrêté en août 1962. Ce n'est qu'après la capture des autres dirigeants de M.K., en juillet 1963, à Rivonia, que Mandela et ses camarades sont condamnés à la prison à vie.
Au pénitencier de l'île de Robben Island, au large du Cap, Mandela retrouve paradoxalement l'histoire de son peuple, car c'est là que, au xixe siècle, était détenu Makana, un chef xhosa rebelle disparu en tentant de fuir l'île. Mandela emprisonné à Robben Island représente la renaissance du mythe messianique du chef caché dont le retour attendu sera le signe de la libération.
Isolés et condamnés à casser des cailloux, les prisonniers du groupe de Rivonia obtiennent, toutefois, de pouvoir poursuivre des études à distance : ainsi se forme ce qui va être appelé l'« université de Robben Island », où chacun apprend et transmet à ses camarades le savoir qu'il a acquis. Mandela étudie notamment l'afrikaans et se familiarise avec l'histoire du peuple afrikaner, ce qui lui permettra de tenir un discours rassurant et proche à cette communauté dans les années 1990.
Après les années difficiles où l'apartheid triomphe, les émeutes de Soweto, en 1976, puis la révolte des townships, en 1985-1986, renouvellent la lutte de libération. Dès 1980, les mouvements anti-apartheid se saisissent de l'icône Mandela pour en faire leur symbole. Les campagnes pour sa libération prennent une dimension mondiale (concert à Wembley au Royaume-Uni réunissant 72?000 personnes, retransmis dans plus de soixante pays, donné en l'honneur des soixante-dix ans du leader).
Déplacé à la prison de Pollsmoor (au Cap) en 1982, puis à celle de Victor Verster (à Paarl) en 1988, Mandela fait l'objet d'une attention de plus en plus appuyée des autorités sud-africaines qui semblent embarrassées par ce prisonnier qu'elles voudraient utiliser. Quand le président Pieter W. Botha lui propose, en 1985, de le libérer en échange de son renoncement à la violence, Mandela, qui n'a rien perdu de sa détermination, refuse, arguant que « seul un homme libre peut négocier [...]. La liberté du peuple et la mienne ne peuvent être séparées ». Cependant, son souhait, rendu public en 1986, de voir la crise résolue par la négociation et non l'affrontement, donne du crédit aux partisans de cette option, tant du côté de l'establishment afrikaner que de l'A.N.C. en exil. Devenu indispensable à tout dialogue, Mandela doit cependant attendre que Botha soit remplacé par Frederik De Klerk à la tête de l'État, en 1989, pour que sa libération soit organisée, le 11 février 1990.
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Écrit par
- Benoît DUPIN : professeur agrégé, enseignant à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de l'Afrique du sud, rattaché au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM)
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