NÉO-CLASSICISME (littérature)
Il semble aller de soi que le néo-classicisme se définit par rapport au classicisme. Or, au moins en littérature, ce dernier est une notion étroite, d'ailleurs problématique : elle ne vaudrait que pour la France, et durant une courte période (les années 1660-1680). Faut-il en déduire qu'il n'y aurait de néo-classicisme que français, ou en rapport avec le modèle français ? Au contraire, l'expression (d'abord valable pour les arts plastiques) désigne aussi des styles anglais (Christopher Wren avait ouvert la voie dès la fin du xviie siècle), allemand (Winckelmann, Mengs), italien (Canova), russe, américain... Comme beaucoup d'autres en esthétique, elle a été forgée a posteriori et apparaît d'abord avec une valeur péjorative : elle désigne alors, et principalement en architecture, la réaction au rococo, perçue comme une parodie de classicisme. La Renaissance sert ici de contre-modèle (imitation véritablement créatrice), comme en littérature les classiques français. Réhabilitée, au xxe siècle, par l'essayiste Mario Praz, elle caractérise toute une époque : autour de la Révolution et l'Empire. Le modèle à imiter n'est pas ici « le siècle de Louis XIV » (Voltaire) – dont on sait qu'il ne se désignait pas lui-même comme « classique » –, mais l'Antiquité grecque et latine : l'élan révolutionnaire puis (jusque dans les mots) le Consulat et l'Empire se sont nourris des idéaux incarnés par Rome, Athènes et Sparte ; les grands orateurs de la République naissante se rebaptisaient eux-mêmes Gracchus (Babeuf) ou Anacharsis (Cloots).
Le retour à l'antique que l'on observe dans la seconde moitié du xviiie siècle un peu partout en Europe, dans tous les arts, stimulé par les découvertes archéologiques d'Herculanum (1709) et de Pompéi (1748), est à interpréter comme aspiration à une « simplicité » perdue, suivant la pente d'un primitivisme qui affleure déjà à la fin du règne de Louis XIV (par exemple à travers l'énorme succès de librairie que rencontrent sur tout le siècle Les Aventures de Télémaque, de Fénelon, 1699) et dont Rousseau a donné une version radicale. Il y a une sévérité néo-classique, art de la volonté et de l'épure, qui évolue d'une poétique de l'imitation (chez Pope, encore chez Diderot) à une esthétique du sentiment, annonciatrice du romantisme.
À la différence du classicisme français, le néo-classicisme n'entretient pas avec les Anciens un rapport d'émulation et de dialogue. Conscient de sa modernité, il s'inscrit dans une histoire, un écart avec le passé : c'est là ce qu'indique, en toute rigueur, le préfixe « néo ». Il trouve ses principaux théoriciens en Allemagne : « la langue dont le poète doit se servir porte en soi l'esprit du temps et l'expérience de l'artifice », écrit Schiller dans Sur la poésie naïve et sentimentale (1795). Les Modernes ont perdu toute « naïveté », ils savent qu'ils ne peuvent restaurer à l'identique la grandeur passée ; leur poésie sera nécessairement « sentimentale », c'est-à-dire qu'elle ne peut abolir une dimension réflexive. Le terme n'est cependant pas familier aux Allemands, qui préfèrent baptiser « classicisme de Weimar » la période (postérieure au « pré-romantisme ») de Goethe et Schiller. Les théoriciens de la Klassik – Karl Philipp Moritz notamment, dont l'Essai de prosodie allemande (1786) est écrit sous la forme d'un dialogue entre « Ariste » et « Euphème » : l'Ancien et le Moderne – ont pensé l'art non plus à partir d'un principe d'imitation, mais (suivis en cela par F. von Schlegel et les romantiques d'Iéna) comme autonomie de l'œuvre, ayant sa finalité propre : c'est cette réussite organique, fonctionnelle que Goethe admire chez Palladio[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
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