NÉO-LAMARCKISME
Le terme « néo-lamarckisme » recouvre un ensemble extrêmement hétérogène de conceptions relatives à l'évolution des espèces et/ou aux processus héréditaires. Les adjectifs « lamarckien » ou « néo-lamarckien » font le plus souvent référence au mécanisme d'hérédité des caractères acquis. Ce mécanisme ayant été progressivement écarté du corpus des connaissances biologiques au cours du xxe siècle, ces termes ont souvent une connotation négative et sont employés à des fins plus ou moins ouvertement polémiques.
Cet article a pour objet d'exposer la nature des différentes formes de néo-lamarckisme. Après quelques éclaircissements sur l'origine et l'emploi des termes « lamarckisme » et « néo-lamarckisme », il s'agira de comprendre ce qu'ont en commun ces différentes conceptions, et aussi ce qui les distingue les unes des autres. Enfin, dans une dernière partie, la question des rapports entre le néo-lamarckisme et l'essor actuel de l'épigénétique sera abordée.
« Néo-lamarckisme », ambiguïté d'un terme
L 'histoire des sciences n'est pas avare de situations ironiques. Les tribulations des termes « lamarckisme » et « néo-lamarckisme » en sont un bel exemple. Ces termes ont en effet popularisé le nom de Lamarck relativement à des concepts qui tenaient une place mineure chez le naturaliste français. Dès la fin du xixe siècle, ils ont été employés pour désigner des théories de l'évolution qui voyaient dans l'hérédité des caractères acquis le mécanisme majeur de la transformation du vivant. À ce moment, le néo-lamarckisme s'est constitué comme une réponse aux thèses néo-darwiniennes. Pour bien comprendre ce que fut le néo-lamarckisme, il est donc nécessaire de rappeler ce que fut le néo-darwinisme.
Charles Darwin (1809-1882), comme la grande majorité des naturalistes avant lui, pensait que les modifications acquises par un organisme au cours de sa vie pouvaient être transmises, au moins partiellement, à sa descendance. Il était en cela partisan de ce que l'on appela, à partir du milieu du xixe siècle, « l'hérédité des caractères acquis ». Le cas exemplaire de ce type de transformation fut d'abord celui que proposa Lamarck lui-même, en 1809, à propos de l'allongement du cou de la girafe : l'effort produit par une girafe au cours de son existence individuelle pour brouter les feuilles les plus hautes aboutit à l'agrandissement de son cou, caractère nouvellement acquis, qui sera ensuite transmis à sa descendance par hérédité.
Si Darwin estimait que la sélection naturelle était le mécanisme majeur de l'évolution des espèces, il n'imaginait pas qu'il s'agissait du seul moteur de la transformation du vivant. Sa conception de l'évolution était pluraliste, et, à côté de la sélection naturelle, Darwin envisageait que d'autres facteurs – comme l'hérédité des caractères acquis – puissent jouer un rôle. Darwin, bien plus que Lamarck lui-même, était intéressé par les mécanismes éventuels qui pourraient permettre une hérédité des caractères acquis. Quelques années après la publication de L'Origine des espèces (1859), il proposa une théorie complète censée rendre compte de l'hérédité biologique, qu'il aimait qualifier d'« hypothèse provisoire de la pangenèse ». Selon cette théorie, les cellules du corps pouvaient sécréter des gemmules, c'est-à-dire des sortes de corpuscules de très petites dimensions, elles-mêmes capables de reformer des cellules identiques à celles qui les avaient produites. Les semences consistaient en des assemblages des différentes gemmules du corps, assemblages représentatifs des différentes parties de l'organisme. Au cours du développement embryonnaire, les types cellulaires étaient formés grâce à l'activité des multiples gemmules[...]
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Écrit par
- Laurent LOISON : docteur en épistémologie et histoire des sciences, chargé de recherche au CNRS, professeur agrégé de sciences de la vie et de la Terre
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