NÉO-PLATONISME
Esquisse doctrinale
Ce qui caractérise l'école néo-platonicienne, on l'a dit, c'est qu'elle construit son système en déroulant le jeu dialectique du Parménide. Non que les néo-platoniciens tiennent leur vision du monde de cet unique dialogue. Ils puisent dans l'œuvre entière de Platon ; ils retiennent certaines positions aristotéliciennes, plusieurs thèmes stoïciens et sans doute d'autres sources (par exemple, après Plotin, les Oracles chaldaïques, recueil de poèmes religieux composés vers la fin du iie s.). Mais ils utilisent la dialectique du Parménide pour enchaîner et formaliser tous ces apports. Celle-ci consiste à essayer une hypothèse pour voir quelles conséquences entraînent sa position et sa négation. Cette hypothèse est la thèse du Parménide historique : l'unité de l' Être. Mais, pour l'envisager sous tous les points de vue, il faut diviser l'hypothèse en huit ou neuf branches.
Damascios a résumé ainsi les cinq premières hypothèses, les plus décisives.
« Telle est dans son unité la conclusion des cinq hypothèses. Si l'un est, il n'est rien, comme le montrent la première et la cinquième hypothèse. Il est tout, comme le montrent la deuxième et la quatrième hypothèse. Enfin il est et n'est pas à la fois, comme le montre la troisième, qui est le moyen terme de ce groupe de cinq » (Dubitationes et solutiones...).
Qu'est-ce que cela veut dire ? Que la position de l'unité mène à des résultats contradictoires. Mais cette contradiction, loin d'être stérile, est pour ainsi dire l'âme de toute pensée et de toute réalisation.
Si l'on tente, en effet, d'affirmer l'unité pure, cette affirmation l'abolit, parce qu'on ne peut poser et penser que des relations, donc des dualités. La simplicité pure nous aveugle, comme d'ailleurs la pure diversité. Si nous prétendons réaliser l'absolu, nous le supprimons comme absolu, puisqu'il n'a de sens que par rapport au relatif dont il se présente comme la négation. Mais cette impossibilité d'affirmer n'est pas une négation ordinaire, puisque l'un que nous posons comme relatif au multiple implique lui-même une autre unité qui les soutient tous les deux, mais que nous ne pouvons thématiser. Il faut donc, après avoir écarté l'affirmation, nier la négation elle-même et entrer dans l'ineffable, non par défaut, mais par excès. Alors, par un renversement très caractéristique, l'Un devient le Non-Être par excellence (comme le dira Érigène) sur lequel toutes les affirmations et la pensée elle-même se découpent comme des manques.
Soleil, soleil, faute éclatante !
[...] Tu gardes les cœurs de connaître
Que l'univers n'est qu'un défaut
Dans la pureté du non-être. (P. Valéry)
Telle est la première hypothèse. Il suffit maintenant de recueillir les négations déployées par cette hypothèse et de les retourner en position. L'Un pur repoussait par sa pureté intransigeante toutes les conditions de l'affirmation qui enveloppent une certaine pluralité interne. Accordons-les à l'un qui compose avec le multiple, c'est-à-dire à la totalité. Ici la pensée est chez elle. C'est la deuxième hypothèse, celle de l'Un qui veut jouer au Tout, comme dit encore Valéry.
Par conséquent, si je pose l'Un pur, je pose le Tout en le niant ; et, si je pose le Tout, j'implique l'Un en le refusant. Cette antinomie est l'antithèse fondamentale de la raison. Celle-ci ne peut ni fuir cette opposition ni s'identifier à l'un de ses termes. Mais, obligée de les tenir tous les deux et de les tenir comme opposés, elle découvre en elle un point neutre qui lui permet d'être présente à cette perpétuelle oscillation et qui l'apparente à l'Ineffable. C'est la troisième hypothèse[...]
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Écrit par
- Jean TROUILLARD : professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris
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