NÉO-RÉALISME ITALIEN
Une expérience de cinéma social
Parmi les caractéristiques du cinéma néo-réaliste, on cite souvent le tournage en décors réels, le recours à des acteurs venus du music-hall ou à des non-professionnels et le refus du changement brusque de cadrage. Dès 1940, dans la revue Cinema, Cesare Zavattini préconise « le film de l'homme qui dort, le film de l'homme qui se dispute, sans montage et j'oserais dire sans sujet ». Et il ajoute : « Les choses immobiles deviennent spectacle lorsqu'on les soumet à une attente prédisposée. » En 1953, pour le film à sketches L'Amour dans la ville, il en arrivera à la théorie de la caméra invisible (buco nel muro, pedinamento : trou dans le mur, filature), l'image devant coïncider avec le flux de la réalité. Umberto D (1952), fruit de la collaboration de De Sica-Zavattini, est sans doute le meilleur exemple d'une poétique qui a trouvé son point d'équilibre.
Suivre le plus longtemps possible un objet sur le même plan permet de créer un espace englobant, fortement présent. Comme c'est l'espace de la quotidienneté, le spectateur peut s'orienter même s'il n'a aucune expérience de la situation. Ainsi dans La terre tremble (1947) de Visconti. Dans la scène du salage des anchois, la caméra se promène de rire en rire : les gens sont proches, ils se parlent. Lors du baptême des barques, elle va d'une tête à l'autre, puis s'approche du visage décrépit de la marquise : là aussi, personnages et actions sont intégrés dans un espace parfaitement définissable. Le panoramique reproduit le mouvement du regard. Ce système expressif est intimement lié au choix thématique. Filmer des situations réelles a été une exigence profondément ressentie. Visconti a travaillé pendant six mois dans le village sicilien, il a recruté sur place ses interprètes qui, à partir d'un canevas, ont improvisé son texte. Giuseppe de Santis a mené une véritable enquête sur le fait divers qu'il présente dans Onze heures sonnaient (1947) : à côté des acteurs principaux, certaines figurantes sont des jeunes filles qui ont assisté à l'écroulement de l'escalier qu'elles avaient encombré pour répondre à une offre d'emploi.
Le cinéma néo-réaliste a voulu mobiliser l'opinion publique sur les questions les plus urgentes. D'abord la guerre et ses séquelles. Giorni di gloria (1945) est un montage documentaire sur la lutte des partisans. En 1946 sortent Paisà de Rossellini, Le soleil se lèvera encore d'Aldo Vergano, Un jour dans la vie d'Alessandro Blasetti, Vivre en paix de Luigi Zampa, Le Bandit d'Alberto Lattuada, Sciuscià de Vittorio de Sica, où la volonté de documenter se transforme en dénonciation impitoyable. En 1947, on tourne Sans pitié de Lattuada, rare exemple de montage court, Tombolo, paradis noir de Giorgio Ferroni, Sous le soleil de Rome de Renato Castellani et Jeunesse perdue de Pietro Germi.
À partir de 1947, la question agraire et méridionale et le sous-emploi urbain retiennent surtout l'attention. Ce n'est pas d'un Voleur de bicyclette (1948) mais de voleurs qu'il s'agit dans le film de De Sica-Zavattini : le pluriel italien (Ladri di bicicletta) renvoie au chômage, partout présent. Le banditisme méridional est évoqué dans Au nom de la loi (1948) de Pietro Germi. De Santis raconte l'histoire d'une coopérative du Nord dans Chasse tragique (1947) ; avec Riz amer (1948), il concilie un mélodrame à quatre personnages et l'exploration presque documentaire du travail des mondine dans la vallée du Pô ; dans Pâques sanglantes (1949), il dénonce les rapports sociaux dans la campagne autour de Montecassino. De son côté, Lattuada réalise Le Moulin du Pô (1948).
L'évolution économique et sociale de l'Italie des années cinquante se manifeste dans le changement d'intérêt[...]
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Écrit par
- Giuditta ISOTTI-ROSOWSKY : maître de conférences, docteur d'État, université de Paris-VIII-Saint-Denis
Classification
Médias
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