NEP
Un recul idéologique
Pour le régime communiste, un changement aussi radical que celui du passage à la N.E.P. ne peut se limiter à des modifications économiques. La Nouvelle Politique économique comporte également des aspects politiques et sociaux. Pour comprendre l'originalité de cette nouvelle stratégie, il convient d'en retenir deux implications fondamentales, extérieures à la pure économie : l'abandon de la marche en avant, c'est-à-dire du processus de socialisation, peut inquiéter les militants bolcheviques, car elle signifie pour eux un recul sur le plan idéologique ; cette anxiété risque de les conduire au découragement, et par conséquence de laisser le champ libre aux adversaires du nouveau régime. Pour éviter ce danger, le Xe congrès du P.C.(b) met l'accent sur l'obligation de la cohésion sans faille du parti ; deux décisions interdisent désormais le fractionnisme et permettent, à titre temporaire, l'exclusion de membres du parti sur seule décision du comité central (Trotski vote cette disposition qui sera ensuite utilisée par Staline à son encontre). La principale conséquence de ce renforcement de la hiérarchie à l'intérieur du parti sera de limiter la discussion de la base. On aboutit à une situation paradoxale : tandis que les profiteurs du nouveau régime tolèrent le régime plus qu'ils n'y participent, les bolcheviks supportent la N.E.P. plus qu'ils ne l'acceptent.
Socialement, la N.E.P. tend à limiter l'évolution entraînée par la révolution d'Octobre. Celle-ci avait contribué à satisfaire la paysannerie en détruisant d'un coup les traditionnelles entraves à la libre expansion des villageois : abolies les dettes du passé, détruites les servitudes de la communauté vis-à-vis des grandes propriétés, écartées les habituelles pressions administratives. Pour Lénine, les mesures prises alors sont une reconnaissance explicite d'une situation de fait, mais doctrinalement cela ne conduit guère à la socialisation des campagnes. La N.E.P. consolide le village russe dans cette optique individualiste en laissant aux paysans la libre disposition de leurs récoltes, limitant les prélèvements forcés ou les impôts en nature, tolérant la renaissance des antagonismes villageois, kulaki riches contre bednoti ou batraki pauvres. Une telle évolution conduit naturellement Bukharin à proposer aux paysans le célèbre mot d'ordre « Enrichissez-vous ». Dans les villes ou sur les routes, le nepman triomphe. La débrouillardise et l'audace caractérisent ce nouveau riche. Où est la morale rénovatrice de la révolution ? Dans les usines, l'ouvrier reprend ses habitudes de travail antérieures à la révolution ; sans enthousiasme, il constate que peu à peu le ravitaillement s'améliore, mais que son niveau de vie stagne tandis que les profiteurs du régime ou de la conjoncture font rapidement fortune. La classe ouvrière russe, au nom de laquelle la révolution fut faite, semble se désintéresser d'un régime qui accorde ses faveurs à la paysannerie.
L'originalité de la N.E.P. transparaît ainsi pleinement : menée par un régime qui condamnait le passé, elle était retour vers le passé et satisfaisait les catégories sociales les plus éloignées du socialisme collectiviste et étatiste. Malgré cela, elle permit aux bolcheviks de survivre et de donner à la Russie, vers 1927, une production comparable à celle d'avant-guerre.
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Écrit par
- René GIRAULT : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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