LEMERCIER NÉPOMUCÈNE (1771-1840)
L'œuvre de Lemercier est copieuse et inaccessible. Fier, énergique, intrépide, toute sa vie est faite de contrariétés vaincues. C'est en le comparant à Chateaubriand, qui était son aîné de trois ans, que l'on s'aperçoit à quel point cet homme intelligent, convaincu d'innover, a manqué le tournant littéraire du nouveau siècle. « Il est bizarre plutôt qu'original » disent ceux qui l'approchent (G. Vauthier) ; G. Merlet l'appelle « la figure la plus curieuse d'une époque ingrate ». Il y avait aussi une excentricité parfois stupéfiante chez l'auteur du Génie du christianisme, mais le génie y a trouvé son compte grâce à l'enchantement du verbe, tandis qu'avec Lemercier le talent fait fausse route et les efforts d'innovation se soldent par un fiasco à peu près complet.
Il fit au théâtre une carrière prolongée (de 1788 à 1835), d'abord brillante avec le Tartuffe révolutionnaire (1795) et Pinto (1799), puis éclipsée par les romantiques. Il avait conçu en poésie un projet monumental où devait s'accomplir, en quatre médaillons symboliques, tout le programme de l'épopée rêvée par les Lumières : Moïse (la législation), Alexandre (la guerre), Homère (la poésie), Newton (la science). Visée grandiose, ambition vertigineuse : le résultat est affligeant. Dans l'Atlantiade (1812), Lemercier invente une mythologie grotesque où se coudoient des incroyables et des merveilleuses aux noms invraisemblables. La Panhypocrisiade, « comédie épique » en seize chants (1819), est probablement ce qu'il a laissé de moins illisible. Victor Hugo lui succéda à l'Académie française : ce fut le coup de grâce du destin. Il était dans le tempérament de Lemercier de se démettre plutôt que de se soumettre : ce qu'il fit au moins avec Napoléon, puis avec le romantisme. L'histoire le lui a bien rendu.
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Écrit par
- Édouard GUITTON : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne
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