NI ZAN[NI TSAN](1301-1374)
Un art inimitable
La peinture de Ni Zan, pâle et austère, simple et distante, semble vraiment à l'image de son âme. Il s'était pénétré des leçons des grands paysagistes du xe siècle, Dong Yuan avant tout, le maître du paysage méridional dont s'était réclamée l'école lettrée depuis Mi Fu, et que Zhao Mengfu avait à nouveau proposé comme modèle dès le début de l'époque Yuan ; mais il a également étudié Jing Hao, Guan Tong et Li Cheng, dont il possédait des originaux dans ses collections. Il appréciait beaucoup Mi Fu, dont il épousa l'esthétique, mais non la manière. Il était lié avec les trois plus grands peintres de son époque : Huang Gongwang, son aîné de trente ans, était un ami autant qu'un maître (Huang lui-même fit à son cadet l'hommage d'imiter certaines de ses œuvres). Ses relations avec Wang Meng étaient particulièrement étroites (les deux artistes exécutèrent même certaines œuvres en collaboration) et l'on peut déduire de ses écrits qu'il était assez intime avec Wu Zhen.
Ces influences des anciens et ces échanges avec ses contemporains semblent en définitive étrangement peu peser dans sa création personnelle. Celle-ci, dont le registre peut à première vue paraître étroit et monotone, est d'une originalité absolue. Travaillant toujours à l'encre sur papier, d'un pinceau oblique et léger, en touches rares et presque nonchalantes, refusant presque toujours l'adjonction de couleurs, il organise invariablement sa composition en trois étages : un avant-plan pierreux planté de quatre ou cinq arbres graciles et pensifs, le vide immense d'une étendue d'eau, l'horizon lointain d'une colline basse. De cet univers apparemment insipide, terne et familier, toute présence humaine est mystérieusement bannie ; en réalité, c'est un monde d'une hautaine autonomie, séparé du monde vulgaire par un écran translucide de vide et de silence. Paysage de l'âme, lieu d'une ineffable absence, cette peinture est un limpide secret où tout est offert et où tout est caché. Paysages du Taihu ? Si vous voulez, répond Ni Zan, toujours évasif : « Ma peinture, ce n'est rien que quelques coups de pinceau jetés au hasard, sans souci de ressemblance, pour mon amusement. » Ou encore, commentant une de ses peintures de bambous : « Dans mes bambous, je me contente d'écrire les libres élans de mon cœur [...]. Je barbouille pendant un bon moment, et les spectateurs les prennent qui pour du chanvre, qui pour des roseaux, et pour ma part je ne saurais forcer personne à y reconnaître des bambous. » Comme certain bégaiement affecté est une forme aristocratique d'éloquence, cette apparente irrésolution ne doit pas nous masquer la certitude spirituelle et la rigueur technique qui sous-tendent l'œuvre. Chez ses innombrables imitateurs, sa formule, qui paraissait si simple, cesse d'opérer : ou bien la peinture reste trop matérielle, ou bien un dépouillement arbitraire la fait tomber dans la pauvreté – et toujours fait défaut ce vide animé qui reste l'apanage unique de Ni Zan.
D'autres artistes ont pu explorer avec plus d'éclat les chemins divers de la création picturale. Si Ni Zan par contraste peut sembler limité et statique, c'est qu'il a d'emblée eu accès à la vérité centrale autour de laquelle tournent toutes les recherches de la « peinture des lettrés ». Comprendre le seul Ni Zan, c'est comprendre l'essence et l'objet mêmes de cet art. Les critiques chinois ne s'y sont pas trompés, et un connaisseur Ming a pu écrire : « Il est facile de copier les maîtres Song, mais il est difficile de copier les maîtres Yuan ; il est possible de copier les maîtres Yuan, mais il est impossible de copier Ni Zan. » Cette qualité inaccessible de sa peinture ne fit que stimuler les imitateurs, mais ceux qui réussirent à saisir un reflet[...]
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Écrit par
- Pierre RYCKMANS
:
reader , Department of Chinese, Australian National University
Classification
Autres références
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