NIBELUNGEN
Les témoignages nordiques
Il peut paraître singulier qu'antérieurement à la fin du xiie siècle les légendes du cycle des Nibelungen aient laissé si peu de traces en Allemagne : tout au plus peut-on signaler la présence de Gunther et de Hagen dans un poème latin du début du xe siècle, le Waltharius. Cela se comprend cependant, car les poèmes qui les relataient ne se transmettaient que par la tradition orale, et il ne s'est trouvé personne pour les noter.
Mais, d'Allemagne, ces légendes étaient passées dans les pays scandinaves et, grâce à l'Islande, on possède des documents dont les plus anciens remontent sans doute au ixe ou au xe siècle. L'abondance de ces textes met en lumière le prestige dont jouissaient les légendes dont les héros étaient Sigurd (Siegfried), Brynhild, Gudrun (Kriemhild), Gunnar (Gunther), Högni (Hagen), Atli (Etzel). Bragi, le plus ancien des scaldes norvégiens connus, y fait déjà allusion vers 850 ; la plupart des chants de l' Edda s'en inspirent ; Snorri Sturluson en donne un bref résumé dans son Edda en prose ; elles sont relatées avec force détails dans la Völsungasaga et, dans certaines régions, les ballades populaires en ont gardé le souvenir jusqu'à l'époque moderne.
Entre les versions nordiques et la Chanson des Nibelungen, on relève des divergences sensibles. Les différences portent surtout sur la première partie. Les pays scandinaves rattachent la légende de Sigurd au monde des dieux de la mythologie germanique : ils font descendre la lignée dont est issu Sigurd d'Odin lui-même ; c'est là que l'on trouve le motif de la malédiction attachée à l'or dont les dieux dépouillent le nain Andvari et dont Sigurd s'empare après avoir tué le dragon Fafnir. Ils mettent de plus en plus l'accent sur cette mystérieuse Brynhild – parfois présentée comme une fille d'Odin –, sur l'amour qu'elle porte à Sigurd, sur le dépit qu'elle ressent à le voir marié à une autre. On aboutit ainsi à une sorte de « roman de Brynhild » dont les traits essentiels sont les suivants : Sigurd et Brynhild se rencontrent une première fois et échangent des serments d'amour, mais un philtre que lui verse la mère des rois burgondes fait que Sigurd oublie ces serments et épouse Gudrun. Il aide ensuite son beau-frère Gunnar à conquérir Brynhild que protège un rempart de flammes ; pour cela, il change d'aspect avec Gunnar, s'introduit auprès de Brynhild dont il partage la couche durant trois nuits. Sans cesser d'aimer Sigurd, Brynhild devient ainsi la femme de Gunnar. Mais plus tard, quand au cours d'une querelle entre les deux reines la supercherie est découverte, elle exige que Sigurd soit mis à mort, puis elle monte elle-même sur le bûcher.
La différence la plus frappante entre la Chanson des Nibelungen et les versions nordiques porte sur la deuxième partie. Dans le poème allemand, Kriemhild, avide de venger la mort de Siegfried, attire ses frères au pays des Huns et les fait périr ; dans les textes nordiques, au contraire, il n'y a nul lien de cause à effet entre la mort de Sigurd et celle de ses beaux-frères : c'est Atli qui invite traîtreusement les Burgondes à lui rendre visite et, malgré les avertissements de ses guerriers, Gunnar accepte l'invitation, mais, à peine arrivés auprès d'Atli, les Burgondes sont maîtrisés, Högni est mis à mort, Gunnar jeté dans la fosse aux serpents où il périt. Gudrun, qui avait cherché en vain à prévenir ses frères du sort qui les attendait, venge alors leur mort de façon particulièrement cruelle : elle sert à Atli un véritable « festin d'Atrée » (les deux fils nés de leur union), puis elle met le feu à la salle des banquets ; les Huns, Atli et Gudrun elle-même périssent dans les flammes.
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Écrit par
- Pierre SERVANT : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Lille-III
- Georges ZINK : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne
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Médias
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