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RAY NICHOLAS (1911-1979)

L'œuvre

« Du point de vue de Sirius, Nicholas Ray a raté tous ses films, mais réussi son œuvre », écrit Jean Wagner. Effectivement, pris séparément, ses films déçoivent souvent : la structure dramatique est chaotique, le récit est émaillé d'incohérences ou de coïncidences fâcheuses, les personnages ont des comportements illogiques ; quant à la facture, qui repose sur le plus banal système du champ-contrechamp, elle est « plate », sans saveur, anonyme. Mais, soudainement, « au milieu d'une accumulation de plans neutres », une scène ou une séquence se détache, et surprend par sa flamboyance. Les exemples de cette fulgurance ne manquent pas : la fuite des évadés de They Live by Night filmée en travelling depuis un hélicoptère ; la présentation des protagonistes de Born to be Bad en une succession de panoramiques pris depuis le même point de vue ; le recul depuis le fond du champ d'Emma qui vient de mettre le feu au saloon de sa rivale, dans Johnny Guitar, et qui se retourne, véritable incarnation de la haine, juste devant la caméra. Mentionnons également la lente progression en canoë des deux ennemis, « perdus » dans les marais, de Wind Across the Everglades ; la mort d'Hérode qui, dans The King of Kings, est traitée dans un panoramique en une plongée verticale vertigineuse ; la sortie de la Cité interdite de l'ambassadeur d'Angleterre qu'un mouvement de grue, dans 55 Days at Peking, emprisonne au milieu d'une foule hostile. En revanche, pris dans leur ensemble, à quelques rares exceptions près, ses films, y compris les superproductions, témoignent d'une parfaite cohérence. Et pour « inachevés » ou « ratés » qu'ils soient, ils ne laissent en aucune façon indifférent. Ils témoignent en effet d'une fêlure et d'un mal de vivre tels qu'ils ne peuvent que toucher.

Les protagonistes de ses films ont en commun d'être des êtres solitaires, qui, à la suite d'une blessure physique ou morale, conservent une plaie ouverte, que symbolise l'omniprésence de la couleur rouge – la couleur du sang, de la violence, de la révolte. Écorchés vifs « promis au malheur », ils sont en révolte contre la société, que celle-ci les ait rejetés, injustement, où qu'elle leur apparaisse, routinière et mensongère. La plupart sont des nomades, soit contraints et forcés parce qu'ils sont recherchés, soit parce que leurs activités ou leur culture les y « condamnent ». Quand d'aventure, ils sont sédentaires et possèdent sinon un foyer, tout au moins un appartement, ils y restent peu, du fait que leurs activités une fois encore les en éloignent ou parce qu'ils le fuient. Pour mieux fuir, pour se sentir libre, un grand nombre d'entre eux vivent la nuit, qui permet d'échapper au jour et donc à la société, la nuit qui est le refuge des marginaux.

Rien n'y fait cependant. Car on ne peut échapper à soi-même. Les héros « rayens » sont violents par nécessité vitale, violents pour cause d'injustice sociale, violents pour cause de frustrations, violents par nature. La violence est omniprésente. Certes, comme dans presque tout le cinéma américain. Mais, à la violence de la société, celui-ci oppose généralement le caractère régénérateur de la nature. Chez Nicholas Ray au contraire, quand nature il y a (sierra de Johnny Guitar, désert d'Amère victoire, marais de Wind Across the Everglades, banquise d'Ombre bianche), elle se révèle inhospitalière, mortelle. En fait, la vie est impossible, car elle n'est qu'un lent et long processus de destruction ; Lightning over Water en constitue d'ailleurs le témoignage à charge. De fait, les personnages des films de Nicholas Ray, masques de leur créateur qui déclarait être un étranger partout où il se trouve, s'apparentent à ceux de romans existentialistes. Dans les[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, professeur d'histoire du cinéma

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