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NICKEL BOYS (C. Whitehead) Fiche de lecture

Le romancier Colson Whitehead, né en 1969 à New York, s’impose désormais comme le chef de file des écrivains africains-américains grâce à un palmarès prestigieux et à l’immense succès que ses livres ont rencontré auprès du public. Son septième roman, Nickel Boys(2019), traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé chez Albin Michel, lui a en effet valu un second prix Pulitzer en 2020 – après celui qui fut décerné en 2017 à UndergroundRailroad. Un honneur très rare qu’il partage avec William Faulkner et John Updike. Le voici donc dans la cour des grands auteurs, car la critique américaine n’a pas manqué de relever sa parenté avec James Baldwin et Ralph Ellison, de même qu’elle lui prédit déjà la pérennité d’un classique.

Une colonie pénitentiaire

NickelBoys s’inspire de l’histoire très documentée de la Dozier School for Boys de Marianna (Floride). Colson Whitehead a pris connaissance en 2014, par la presse locale, des enquêtes et des recherches médico-légales qui révélaient, après de laborieuses négociations avec les autorités locales, les exactions commises sur plusieurs générations d’adolescents – en majorité noirs –, sacrifiés et voués à un cimetière clandestin. Des faits qui l’ont hanté au point de le conduire à en faire une histoire de son cru. Dans ce centre de redressement, devenu dans la fiction Nickel Academy, tout se construit, avec des jeux d’ombres et de doubles, autour de deux personnages : Elwood et Turner, inséparables, liés par une amitié qui permet à la fois une confrontation équilibrée de l’idéalisme face au scepticisme et une résolution de la narration à travers des destins bien différents.

Dès son enfance pauvre chez Harriet, sa grand-mère, Elwood, élève brillant, sensible aux livres et aux textes, écoute les propos de James Baldwin, la voix de Martin Luther King, notamment son discours de 1959 sur l’intégration des enfants dans les écoles et sa « Lettre de la prison de Birmingham » de 1963. À la maison, « ils n’avaient pas la télé mais les discours du révérend King étaient des tableaux si vivants – narrant tout ce qu’avait été et tout ce que serait l’homme noir –, le disque valait pratiquement la télévision. Voire la surpassait en majesté. » Le lycéen n’ignore rien ni de la haine des Blancs de tous âges ni des clameurs des manifestations de rue à Tallahassee, réclamant une véritable égalité raciale. Mais cette « chronique du pays natal », qui n’est pas sans rappeler les classiques, dont le roman autobiographique BlackBoy de Richard Wright (1945), va s’interrompre en plein élan : une erreur judiciaire plonge Elwood dans l’enfer de Nickel.

Univers de sévices et de tortures, de violences et de silences, « raciste jusqu’à la moelle », le centre de redressement, qui comptait chaque année six cent élèves, a existé de 1900 à 2011, soit plus d’un siècle de barbarie, de coups de fouet et d’os brisés. Le quotidien, sous le regard de Turner, révèle des combats sans merci et des fraudes corrompues ; sous celui d’Elwood, des rêves de progrès et de procès honnête. Mais l’avocat qui devait le sortir de cet enfer gruge Harriet et disparaît. Purger sa peine ou tenter de fuir, chiens et fusils aux trousses, tel est désormais le dilemme : à chacun de prendre son risque s’il choisit de s’évader. Mais au-delà, les cicatrices de Nickel marqueront à jamais ces survivants brisés. Des années plus tard, une séquence qui se déroule à Harlem témoignera de la blessure indélébile laissée sur toute une vie par ce séjour, avec les souvenirs et l’éternel retour vers la scène des crimes.

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