ABBAGNANO NICOLA (1901-1990)
Esprit extrêmement précoce, Abbagnano débute sur la scène intellectuelle dans les années 1920 – un début caractérisé par une vive, surprenante originalité. Dans Le Sorgenti irrazionali del pensiero (1923) et dans Il Problema dell'arte (1925), il repousse nettement le néo-idéalisme de Croce et de Gentile, dont l'hégémonie spéculative dans la pensée italienne de l'entre-deux-guerres est bien connue. Le jeune philosophe cherchera ensuite à l'étranger de nouveaux points de repère et de nouveaux domaines d'étude. Si Il Nuovo Idealismo inglese e americano (1927) témoigne un intérêt qui ne le quittera plus pour la pensée de langue anglaise, La Fisica nuova (1934) révèle une sensibilité épistémologique très rare – et à contre-courant dans la culture italienne des années 1930.
Mais c'est surtout la rencontre avec la philosophie allemande contemporaine qui marque le tournant décisif dans l'itinéraire intellectuel d'Abbagnano. En lisant Husserl, Jaspers, Heidegger, Abbagnano découvre la problématique de la conscience, de l'existence, de l'« homme-dans-le-monde ». La Struttura dell'esistenza (1939) est universellement tenue pour le chef-d'œuvre du philosophe de Salerno (qui, en cette même année, commence son enseignement universitaire à Turin), et l'un des fruits les plus remarquables de la pensée italienne de cette époque. Tout en acceptant beaucoup des prémisses théoriques de Jaspers et Heidegger, Abbagnano en refuse les implications et les développements tragiques. L'existentialisme de notre auteur se veut non pas tragique, mais « positif »(cf. L'Esistenzialismo positivo, 1948 ; et, précédemment, Introduzione all'esistenzialismo, 1942). Alors que Jaspers et Heidegger soulignent la « déréliction » du Dasein et son infranchissable distance/différence par rapport à l'Être (d'où l'« angoisse » constitutive de l'homme, et l'« échec » ou le « naufrage »auxquels sa vie est condamnée), Abbagnano affirme que le Dasein – qui pour lui, contrairement aux positions bien connues de Heidegger, est explicitement l'homme – n'est pas un simple « orphelin de Dieu ». L'homme est installé dans une réalité mondaine avec laquelle il peut avoir des rapports positifs grâce à la raison et à la science, à la volonté et au choix éthique.
La catégorie qui définit le mieux la vie humaine (et, plus généralement, l'univers historique et social) est pour Abbagnano la catégorie de la « possibilité ». Émancipé de la tutelle de l'Être/Dieu, impliquant, si l'on y pense bien, l'inexistence en quelque sorte nécessitée par cet Être – ou peut-être par son « oubli » –, l'existant/homme est libre : il peut. D'autre part, cette liberté et cette possibilité n'offrent aucune certitude, aucune garantie à l'être humain. En effet, la possibilité, dans son sens fort, adopté par Abbagnano ouvre des perspectives problématiques, ambiguës : des perspectives d'échecs comme de victoires (Possibilità e libertà, 1956).
D'ailleurs, l'attention majeure d'Abbagnano est tournée moins vers les résultats ultimes des possibilités humaines (bien qu'il aime souligner l'imprévisibilité et, en quelque sorte, la transcendance de ces résultats par rapport à l'action de l'homme) que vers les principes et les instruments avec lesquels l'homme peut réaliser positivement ses chances. Par conséquent, on ne s'étonnera pas si, dans l'après-guerre, l'« existentialiste »que fut Abbagnano se soit de plus en plus intéressé aux problèmes (très « rationalistes ») du savoir et de l'épistémè, de la science et de la technologie. Cofondateur dans les années 1950 du Centro di studi metodologici de Turin, Abbagnano y organise des débats[...]
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Écrit par
- Sergio MORAVIA : professeur de philosophie à l'université de Florence
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