BERDIAEV NICOLAS (1874-1948)
Berdiaev se définit lui-même :« Je ne suis qu'un chercheur de vérité et de vie en Dieu, un révolté, un philosophe existentiel... non un maître, non un professeur, non un directeur. »
Ce philosophe, dont la recherche fondamentale concerne l'homme, son visage, sa liberté créatrice, exercera une profonde influence sur la pensée européenne. Il sera le précurseur d'une nouvelle anthropologie : celle de l'homme répondant à son propre destin en prenant conscience de sa vocation créatrice.
Le sens d'un destin
Au carrefour de la Russie et de l'Europe, de l'orthodoxie et de l'Occident chrétien, de l'humanisme athée et de l'expérience spirituelle, le destin de Nicolas Berdiaev a valeur de symbole. Né à Kiev le 19 mars 1874 dans une famille noble, le jeune Nicolas grandit solitaire, entre un père vaguement libéral et une mère (née princesse Koudachev, apparentée à la famille Choiseul) de sensibilité catholique. Il ne tarde pas à rompre avec son milieu pour devenir un publiciste libre. D'abord socialiste, mais non conformiste, il essaie d'unir la pensée de Marx et celle de Kant. À partir de 1901, la découverte du tragique et de la génialité créatrice, grâce à Nietzsche surtout, l'éloigne du marxisme dont il conservera toujours l'exigence de justice sociale. De 1901 à 1909, à Pétersbourg, il participe à la « renaissance russe » marquée, entre autres pensées, par la « nouvelle conscience religieuse » qui veut unir au christianisme le sens dionysiaque de la vie. Répugnant aux jeux littéraires, il s'établit en 1909 à Moscou, collabore au renouveau théologique de l'Église orthodoxe. Son non-conformisme toutefois l'éloigne vite d'une Église trop établie : avec Le Sens de l'Acte créateur écrit en 1913, il se définit, en marge de l'institution ecclésiastique, comme un prophète voué à l'élaboration d'une anthropologie chrétienne.
1914 et 1917 représentent pour lui le choc purifiant de l'histoire. Pendant la guerre, il dénonce la labilité quasi féminine de l'âme russe et s'efforce de promouvoir une virilité spirituelle qui éviterait à son pays l'invasion ou une révolution destructrice. La révolution de février, durant laquelle il joue courageusement à Moscou un rôle pacificateur, et qui fait de lui un député à l'éphémère « Conseil de la République », l'inquiète par son irréalisme. La révolution bolchevique où pointe, à travers l'anarchie, l'esprit du grand inquisiteur, lui arrache d'abord un cri d'indignation. Mais bientôt, acceptant l'expérience socialiste, il tente, à ses risques (il est emprisonné deux fois), d'y promouvoir la liberté de l'esprit et un christianisme renouvelé dont il trouve le témoignage chez un authentique starets, le P. Alexis Metchev. Vice-président de la Société des écrivains, il fonde en 1919 l'« Académie libre de culture spirituelle » et devient en 1920 professeur à l'université de Moscou. Ses cours, publiés plus tard en Occident, sont consacrés au Sens de l'histoire et à L'Esprit de Dostoïevski. Il est expulsé en 1922 comme « adversaire idéologique du communisme ».
À Berlin (1922-1924), il publie Un nouveau Moyen Âge, qui va lui donner une audience européenne. En 1924, il s'établit durablement en France, à Clamart. Refusant d'être un « émigré », il s'efforce, dans la « dispersion » orthodoxe, de maintenir le grand mouvement de la philosophie religieuse russe – autour de la revue Pout (La Voie) qu'il dirige. En même temps, il s'engage dans la pensée française, promeut une rencontre en profondeur de l'Occident et de l'Orient chrétiens, un christianisme à la fois plus mystique et plus social, et devient l'un des inspirateurs du mouvement personnaliste.[...]
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Écrit par
- Olivier CLÉMENT : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris
- Marie-Madeleine DAVY : maître de recherche au C.N.R.S.
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