BERDIAEV NICOLAS (1874-1948)
Dieu et l'homme
Selon Nicolas Berdiaev, Dieu n'est pas concevable sans l'homme et l'homme perd son sens en dehors de Dieu. Ils forment un couple inséparable : celui de l'Amant et de l'Aimé. Rien ne peut rompre les liens étroits qui les unissent, car « l'homme est enraciné en Dieu et Dieu est enraciné en l'homme ». C'est pourquoi l'homme apparaît comme le signe visible d'une réalité invisible, il témoigne d'une présence, celle de Dieu dont il est l'image. Ni l'anthropologie religieuse ni la métaphysique ne sont satisfaisantes pour l'esprit, car elles ne peuvent montrer l'étroite parenté entre l'homme et Dieu. Leur erreur a été de pétrifier Dieu et d'humilier l'homme. Seule l'expérience spirituelle permet d'approcher le mystère de la vie divine et de comprendre le mystère de l'homme. Ainsi le divin se trouve dans l'homme comme un élément constitutif, puisque l'homme, tel le Christ, comporte les natures humaine et divine.
La formation de la personne humaine échappe au monde objectivé ; dépendant de la subjectivité, elle reçoit son animation de l'image divine qu'elle porte en elle et qui ne cesse de lui transfuser sa propre énergie. La tragédie de l'homme provient de la présence en lui des deux natures, il est le lieu où s'affrontent le monde et Dieu ; de là naissent les contradictions qui l'assaillent et ne cessent de le déchirer.
Quand l'homme s'oriente totalement vers Dieu, il devient un lieu de métamorphose ; enfanté par l' éternité, il participe à un monde nouveau. Le mot éternité possède un sens très précis dans la pensée de Nicolas Berdiaev. « L'Éternel seul est réel. » L'Éternité n'est saisissable que dans le temps, tout en se situant hors du temps. Elle éclaire le présent et confère à l'existence sa véritable profondeur. Révéler l'Éternel signifie hâter l'avènement de l'Esprit saint dans le temps et contribuer à la réalisation du royaume de Dieu.
L'esprit, selon Nicolas Berdiaev, présente une qualité rigoureusement différente de celle de l'âme. La lumière provient de l'esprit, c'est lui qui illumine le corps et l'âme, il les spiritualise. Sous sa clarté, l'homme dépasse le plan de la nature contraignante et parvient à la liberté. L'esprit, souffle de Dieu, pénètre l'homme et l'établit dans l'unité et l'indépendance. C'est grâce à l'esprit que l'homme devient capable d'accéder aux plus hautes sphères divines, lui seul ne subit aucune altération, tandis que le corps et l'âme, du fait de leur appartenance au monde aliéné, doivent recouvrer la vie spirituelle dont ils s'éloignent par leur propre pesanteur.
L'élément divin qui appartient à l'homme par son origine est donc source de sa dignité et de sa grandeur. Par un paradoxe étrange, dans la mesure où l'homme se divinise, il devient plus parfaitement homme : « Ce n'est pas l'homme qui est humain, dira Berdiaev, mais Dieu. C'est Dieu qui exige que l'homme soit humain. » L'humanité est une théo-humanité. Tout en étant transcendant par rapport à l'homme, le divin se trouve mystérieusement uni à l'homme dans l'homme-Dieu. Le Christ constitue ainsi le parfait modèle ; si l'homme s'en rapproche étroitement, il lui devient possible de participer à la vie trinitaire, de poursuivre l'œuvre de Dieu en lui, de parachever la création et de répondre à sa propre destinée.
Dieu tient ainsi une place centrale dans la philosophie de Berdiaev, puisque l'existence humaine n'acquiert son sens que dans sa participation à la vie divine ; un dialogue ultime s'établit entre Dieu et l'homme. Mais Dieu doit être sans cesse découvert, l'homme[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Olivier CLÉMENT : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris
- Marie-Madeleine DAVY : maître de recherche au C.N.R.S.
Classification