NICOLAS DE CUES NICOLAS KREBS ou CHRIPPFS dit (1401-1464)
Une révolution cosmologique
En 1458, Æneas Sylvius Piccolomini, ami de Nicolas de Cues, est élu pape sous le nom de Pie II. Désormais le cardinal, tout en continuant sa lutte contre Sigismond, va résider surtout à Rome où il reçoit les fonctions de vicaire au temporel ; chargé de combattre les inondations, il prépare un plan d'assèchement des marais Pontins. Devant la menace turque, il ébauche une négociation politique avec Louis XI, mais, fidèle à son idéal irénique, il croit important d'examiner le Coran avec plus de sympathie qu'aucun de ses prédécesseurs latins. Dans la Cribratio Alchorani (1461), reconnaissant au prophète arabe le mérite d'avoir adapté aux rudes populations du désert une vérité en elle-même inaccessible, il souligne le rôle que Mohammad accorde à Jésus, et s'efforce, après Raymond Lulle, de présenter la Trinité et l'Incarnation comme des exigences philosophiques implicitement contenues dans la révélation islamique. Il complète son œuvre par L'Être-Pouvoir (1460), réflexion sur la synthèse de l'acte et de la puissance, Le Non-Autre (1462), La Chasse de la sagesse, Le Jeu de boule, charmant dialogue de forme platonicienne qui contient quelques anticipations d'une nouvelle mécanique, le Résumé et La Cime de contemplation (1462-1463), auxquels s'ajoutent de nombreux sermons, une abondante correspondance et quelques notes sur des problèmes d'astronomie.
Avant sa mort, il avait fait lui-même les plans d'un hospice à construire près de sa maison natale ; les voûtes de la chapelle y unissent la dyade platonicienne, le quaternaire pythagoricien et la Trinité chrétienne. La bibliothèque de cet établissement – encore en activité grâce aux vignes léguées par le cardinal – conserve la plus grande partie de ses instruments de travail. Dans l'éloge funèbre que fait de lui l'un de ses secrétaires italiens, il est dit que le Cusain avait lu tous les livres des Anciens, ceux des Modernes, et aussi les ouvrages de la « période intermédiaire ». Ce texte de 1469 est sans doute le premier où apparaisse la notion de « Moyen Âge ».
Si son latin peu cicéronien, sa dépendance de sources chartraines et lulliennes le lient encore à des traditions médiévales, Nicolas annonce souvent une manière nouvelle de sentir et de penser ; bien que son platonisme soit principalement celui de Proclus, il devine l'importance du texte du Ménon où un jeune esclave retrouve de lui-même la solution d'un problème géométrique. Mais, surtout, La Docte Ignorance opère une véritable révolution cosmologique en renonçant à la coupure radicale entre le supra-lunaire et le sub-lunaire, en appliquant à la « machine du monde » l'image de la sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part, en affirmant qu'un observateur, en quelque lieu qu'il fût situé, se croirait immobile au centre de l'univers. Vision purement théorique, mais qui, en un sens, comme le verra Bruno, est plus révolutionnaire que le simple « renversement » copernicien.
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
Classification
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