FILLEUL NICOLAS (1537?-apr. 1584)
Né à Rouen d'une famille de petite noblesse, Nicolas Filleul est un homme de théâtre. En 1563 il fait représenter au collège d'Harcourt une tragédie intitulée Achille, selon la mode du temps, dans les établissements scolaires. En 1566, le cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen et puissant personnage, le charge de composer les Théâtres de Gaillon à l'occasion d'un séjour du roi Charles IX dans ce château normand aménagé à l'italienne. Des personnages en costumes récitent quatre églogues dans un grand pavillon du parc. L'éloge de Charles IX est le sujet de deux de ces idylles, Les Naïades, plainte de nymphes éprises du roi, et Téthys, où cette déesse voit monter au firmament la gloire de la dynastie française. Mais les deux autres sont inspirées par les troubles contemporains, par la misère des bergers et du royaume, ou par la mort d'Antoine de Bourbon, tué au siège de Rouen en 1562. Poésie d'imitation, qui porte la marque de Ronsard, de Virgile ou de Sannazaro, mais avec une douceur sentimentale et musicale propre à Filleul. Le paysage normand est recréé par cette rêverie. Quant à la Lucrèce, également jouée à Gaillon, elle contribue à introduire dans notre littérature le genre de la tragédie régulière à l'antique, en cinq actes qui s'achèvent par le suicide de l'héroïne, selon le récit de Tite-Live. Tragédie sans tragique, où les emprunts au théâtre de Sénèque nourrissent le pathos, et instaurent parfois un ton forcené grâce aux procédés de rhétorique. Moins scolaire et plus subtile, Les Ombres, pastorale dont les principaux personnages, la bergère Mélisse et la Naïade Clion, incarnent le refus de l'amour par peur de souffrir. Cette longue élégie presque dépourvue d'intrigue est d'une mélancolie voluptueuse qui pénètre la nature et qui exprime avec raffinement l'attrait du passé ou du refuge arcadien, comme dans les églogues.
Poète officiel, Filleul va aussi collaborer avec la Pléiade, ou composer à l'intention de Catherine de Médicis. En 1568, il lui dédie le Vœu à la Royne, un discours en vers sur le thème de la lutte contre l'ignorance. Il est aumônier royal sous Henri III, et peut-être au début du règne de Henri IV. Si l'on ignore la date de sa mort, il est désormais vraisemblable qu'il a composé le livret du fameux Ballet comique de la Reine, ce spectacle monté en 1581 pour les noces du duc de Joyeuse et conçu par Balthazar de Beaujoyeulx. Cette œuvre complète, comprenant poésie dramatique, danse, musique, était dotée d'une portée politique : les Olympiens y restaurent la concorde menacée par l'enchanteresse Circé et par les forces du chaos, et le ballet final transpose l'harmonie céleste dans le monde terrestre. La cour y apparaît comme un lieu magique où s'ordonnent et se complètent les quatre éléments et les puissances du cosmos. Autour du centre constitué par la personne royale sont regroupés différents lieux, et la machinerie en particulier manifeste les échanges entre la terre et le ciel. La mise en scène a donc valeur de rituel, et une sorte d'initiation par l'épreuve aboutit à une délégation de pouvoir : après la défaite de Circé, Mercure et Minerve confèrent à Henri III toute « puissance de commander ». Outre le style de Filleul, on retrouve dans ce livret certaines constantes des Théâtres, les conséquences funestes du désir, thème commun à Lucrèce, aux Ombres et au règne de Circé dans le Ballet comique, ou le goût des visions nautiques, par exemple les cortèges de Tritons et de Naïades, qui prendront par la suite une telle place dans les fêtes. Ces variations poétiques destinées à séduire un public de cour — le Ballet fut représenté au Louvre — sont plus importantes que l'intrigue même, la libération des prisonniers de Circé. Ainsi par l'intermédiaire[...]
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Écrit par
- Françoise JOUKOVSKY : professeur émérite à la faculté des lettres de Rouen
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