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GILBERT NICOLAS JOSEPH FLORENT (1750-1780)

Poète lorrain, Nicolas Gilbert doit une certaine réputation à la légende ou, plutôt, au mythe romantique du poète incompris, victime d'une société égoïste, tel que le représente Vigny dans Stello : on a fait de lui une sorte de Chatterton français. S'il est vrai qu'il est mort jeune, à vingt-neuf ans, il ne faut plus pour autant s'abuser aujourd'hui.

Gilbert naît à Fontenoy-le-Château (Vosges), où son père agriculteur, marchand de grains, possède deux petites fermes, tout en exerçant les fonctions de maire (1742). Il fait une partie de ses études au fameux collège de l'Arc, à Dôle, puis il monte à Paris, à la conquête d'une gloire qu'il ne trouvera, de manière posthume, qu'au xixe siècle. Bien reçu par d'Alembert, auquel il est recommandé par Mme de la Verpillière, femme du prévôt des marchands de Lyon, il aurait sans doute été gagné au parti philosophique, comme son compatriote Saint-Lambert. Il en fut autrement ; Gilbert entra dans le clan des réactionnaires, au côté de Fréron, l'illustre directeur de L'Année littéraire. Il publie, alors qu'il n'a pas vingt ans, un roman passé justement inaperçu, puis son Début poétique (1771). Il participe au concours annuel de l'Académie française, en proposant Le Poète malheureux ou le Génie aux prises avec la fortune (1772), aux épanchements plus ou moins autobiographiques, et une ode consacrée au Jugement dernier (1773), qui se termine par ces vers : L'Éternel a brisé son tonnerre inutile ; / Et, d'ailes et de faux dépouillé désormais, / Sur les mondes détruits le temps dort immobile.

Ce sont deux échecs consécutifs (le prix étant remporté deux fois par Jean-François La Harpe, fade poète, mais dévoué à la cabale philosophique dans les feuilles du Mercure de France) qui sont ressentis par Gilbert comme deux humiliations. Après un séjour à Nancy, il se lance courageusement dans la satire, se montrant digne successeur de Juvénal, Régnier et Boileau, s'en prenant à Voltaire, Diderot, d'Alembert, La Harpe, et dénonçant avec violence, d'abord dans Le Dix-Huitième Siècle (1776) dédié à Fréron, ensuite dans Mon Apologie (1778), la licence de l'athéisme, la corruption des mœurs et la décadence littéraire de son temps : Parlerai-je d'Iris ? chacun la prône et l'aime ; / C'est un cœur, mais un cœur, c'est l'humanité même. / Si d'un pied étourdi quelque jeune éventé / Frappe, en courant, son chien qui jappe épouvanté, / La voilà qui se meurt de tendresse et d'alarmes ; / Un papillon souffrant lui fait verser des larmes : / Il est vrai ; mais aussi qu'à la mort condamné, / Lalli soit en spectacle à l'échafaud traîné, / Elle ira la première à cette horrible fête / Acheter le plaisir de voir tomber sa tête.

Gilbert est mort à l'Hôtel-Dieu, trop tôt sans doute pour se faire un grand nom. Une trépanation, à la suite d'une chute de cheval, l'ayant rendu fou, il avale la clef d'une cassette qui reste accrochée à l'œsophage (Journal de médecine, janv. 1781, p. 82). Par une ironie du sort, cette mort insolite l'emporte alors qu'il vient d'attirer sur lui la protection de M. de Beaumont, archevêque de Paris, et celle du roi. On dit, sans jamais l'avoir prouvé, que trois pensions lui étaient échues : une de l'archevêché, une prélevée sur la cassette royale, une enfin, du Mercure. Ce fait peut être exact ; mais il se trouve fâcheusement mentionné dans les apocryphes Souvenirs de la marquise de Créquy (édition de 1855, pp. 182-184), où tout ce qu'il y a d'indubitablement faux laisse planer de grands doutes sur ce qui pourrait bien être vrai.

Il est certain toutefois qu'après plusieurs années de bohème, Gilbert meurt dans une relative aisance. Il[...]

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