KALMAKOFF NICOLAS (1873-1955)
Né à Nervi sur la côte ligure d'un père russe, général, et d'une mère italienne, ce peintre singulier fut dès son enfance nourri de fantastique par sa gouvernante allemande. Sorti en 1895 de la très aristocratique École impériale de droit de Saint-Pétersbourg, il n'en retient guère, mais pour la vie, que la raideur, une certaine morgue et le goût des duels. Plusieurs années durant, en Italie, un travail à l'hôpital le confronte quotidiennement à l'anatomie de corps souffrants tandis qu'il se met, seul, à la peinture qui devient bientôt son unique préoccupation. Malgré des expositions avec le groupe du Monde de l'art (Mir Iskusstva), il reste une figure isolée. Après la révolution, il fuit dans les pays Baltes où il continue à peindre tout en rêvant d'un possible retour. Pourtant, en 1924, il quitte les marches de ce qui tarde à redevenir l'empire russe et se fixe définitivement à Paris. Il aura encore deux expositions, l'une à Bruxelles en 1924, l'autre à Paris en 1928, avant de sombrer dans l'oubli et le dénuement. Mais il continue de peindre, et les tableaux s'accumulent tandis qu'il relit indéfiniment Le Chef-d'œuvre inconnu de Balzac. En 1941, à soixante-huit ans, il rencontre sa dernière femme, une voisine guatémaltèque entre deux âges, également compagne, à ce qu'il semble, d'un pope. Six ans plus tard elle le met à l'hospice russe pour vieillards indigents de Chelles et confisque ses toiles. Il meurt en 1955. C'est au hasard des Puces et à la perspicacité de deux passionnés, Georges Martin du Nord et Bertrand Collin du Bocage, que nous devons la redécouverte de Kalmakoff. Deux expositions ont suivi à Paris, l'une en 1964 à la galerie Motte et surtout la grande rétrospective de 1986 au musée-galerie de la Seita, au catalogue de laquelle nous devons l'essentiel de notre information, ont révélé au grand public une œuvre et un destin si cohérents dans leur étrangeté qu'ils pourraient être inventés.
Inquiétant, sulfureux, halluciné, Gustave Moreau revu par une Byzance infernale, Beardsley russe voué au diable, Khnoppf saisi par une fureur érotico-mystique, tous les qualificatifs que suscite Kalmakoff disent assez l'impression qui se dégage de son œuvre. Elle fait surgir avec une précision de cauchemar en des tons cramoisis, orange acide, verdâtres ou bleutés glauques un monde de femmes cambrées en des postures lascives, de Narcisses androgynes à la croupe ondulante, de Christs à l'affreux rictus pleurant des larmes de sang. Des yeux immenses, écarquillés, vous fixent, des regards d'un vert magnétique ou dont l'éclat phosphorescent transperce, ou encore des trous noirs, à moins que les paupières ne se ferment sur un mystère que l'on pressent horrible. Ces obsessions croisées du sexe, de la femme et du diable sont à mettre en relation avec l'appartenance de Kalmakoff, d'origine catholique par sa mère, à la secte russe des Skoptsy, ces « châtrés » mystiques qui avaient un rapport ambigu au corps fait d'une méfiance pouvant aller jusqu'à l'automutilation et d'une attention vigilante que traduit une rigoureuse discipline gymnique. Mais si étranges que paraissent sa personnalité et son inspiration, Kalmakoff n'en est pas moins à replacer dans un double contexte : celui de sa formation italienne et celui de l'esprit qui anime, au tournant du siècle, l'ensemble de la création russe. D'un an plus jeune que Diaghilev, il a été proche de son groupe du Monde de l'art issu du symbolisme et qui revendique pour l'art des voies nouvelles loin de la volonté sociale et moralisante des Ambulants comme Répine. Marqué par le symbolisme tourmenté d'un Sologoub et surtout par Vroubel, il partage avec ses contemporains l'attrait des expériences les plus diverses,[...]
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Écrit par
- Véronique SCHILTZ : maître de conférences en archéologie et histoire de l'art antique à l'université de Besançon
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