MALEBRANCHE NICOLAS (1638-1715)
Retenant du cartésianisme qu'il n'est de vraie connaissance que par les idées claires et distinctes, Malebranche, qui se veut disciple de Descartes – en même temps que de saint Augustin –, s'éloigne de lui pour le reste. Substituant le Verbe à la lumière naturelle créée, la vision en Dieu à l'innéisme, faisant coïncider la philosophie et la religion, il transporte le philosophe dans cette « région heureuse et enchantée » où la lumière intelligible pénètre les « abîmes » profonds de la Providence et illumine le système entier de l'univers, incréé autant que créé, invisible autant que visible.
Dieu, qui renferme en soi toute la lumière et toute la puissance efficace, consulte sa Sagesse pour porter à l'existence le monde qui exprime le mieux ses perfections. Ainsi, l'ordre commande une immense machinerie où, de Dieu jusqu'à sa plus infime créature, tout est soumis à des lois strictement réglées ; univers que domine le drame chrétien, lui-même haussé au niveau de la raison ; univers, enfin, où Dieu, qui fait tout, n'est point responsable du mal, où l'homme, qui ne fait rien, demeure le maître de sa destinée, ayant le libre pouvoir d'arrêter ou de laisser s'accomplir le mouvement infini par lequel Dieu l'unit à lui dans un amour de pure lumière.
Il est extrêmement regrettable que l'aspect parfois théologique de cette réflexion en ait, depuis le xviiie siècle, si souvent masqué la puissance et l'originalité philosophiques.
L'auteur de la « Recherche de la vérité »
Les années de formation
Nicolas Malebranche fut, selon l'expression heureuse de Voltaire, l'un des plus profonds méditatifs qui aient jamais écrit. Il naquit à Paris un mois avant Louis XIV. Et sa philosophie porte, plus que toute autre, cet « air grand et magnifique » (le mot est d'Arnauld, parlant de Malebranche) qui scelle le règne de ce prince.
Il sortait d'une famille de parlementaires. Son père était conseiller du roi et trésorier général des cinq Grosses Fermes de France ; sa mère, Catherine de Lauzon, eut un frère intendant de Provence et de Guyenne, gouverneur du Canada, puis conseiller d'État. Le dernier de dix ou de treize enfants, Malebranche était de complexion débile et de conformation irrégulière, ce qui fit écrire au malicieux Fontenelle qu'« il s'était toujours destiné à l'état ecclésiastique, où la nature et la grâce l'appelaient également » (Éloge de Malebranche). Il dut à sa constitution maladive de faire ses humanités dans la maison familiale, où le marqua l'empreinte de sa mère. « C'était, nous dit son ami et biographe le père André, une dame d'un esprit rare et d'une grande vertu, qui s'était occupée particulièrement à le former. » Malebranche aimait l'étude et, « en peu de temps, poursuit le père André, il dévora les premières difficultés des sciences avec une facilité d'esprit qui étonnait ».
À seize ans, en 1654, il alla faire sa philosophie au collège de la Marche, où son maître, M. Rouillard, péripatéticien zélé et plus tard recteur de l'Université de Paris, lisait et commentait Aristote. Reçu maître ès arts en 1656, et déjà décidé à recevoir les ordres, il suivit, jusqu'en 1659, les cours de théologie à la Sorbonne. « Quoiqu'il eût assez bien appris le latin et le grec, observe le père Lelong, il ne s'appliqua pas à la philosophie et à la théologie, parce qu'il n'y trouvait point de goût. » Et Fontenelle : « Il fit [ses études] en homme d'esprit et non en génie supérieur. » Ce que le père André explique en ces termes : « Accoutumé de bonne heure à réfléchir, voici ce qu'il trouvait bizarre dans la méthode des Écoles : dans la philosophie, qui est tout entière du ressort de la[...]
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Écrit par
- Ginette DREYFUS : professeur émérite à l'université de Haute-Normandie
Classification
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