POUSSIN NICOLAS (1594-1665)
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La première période romaine
En 1624, après deux essais infructueux, Nicolas Poussin parvenait à gagner Rome à la suite d'un bref séjour à Venise. Marino, son protecteur, quitta Rome rapidement, mais il avait introduit le peintre auprès de collectionneurs romains qui allaient devenir ses meilleurs clients. Le plus puissant d'entre eux était le cardinal Francesco Barberini, neveu du pape récemment élu Urbain VIII, mais le plus important pour lui allait être Cassiano Dal Pozzo, un amateur passionné autour duquel gravitait un cercle d'érudits et d'artistes férus d'antiquité, qui incita en particulier le peintre à approfondir son intérêt pour la culture antique. C'est en partie sous son influence qu'il devait s'orienter de manière déterminante vers la peinture de thèmes classiques, extraits de l'histoire antique et de la mythologie. Au même moment, il étudiait attentivement les Bacchanales de Titien, alors conservées à la villa Aldobrandini, et, soucieux de s'imposer sur la scène artistique romaine, il parvenait à obtenir les commandes de grandes compositions historiques. Peignant en 1627 La Mort de Germanicus (Minneapolis Institute of Arts) pour le cardinal Barberini, son premier chef-d'œuvre sur le mode héroïque, il exécuta en 1628-1629 Le Martyre de saint Érasme (pinacothèque Vaticane) pour un autel de la basilique Saint-Pierre, et qui semble avoir été accueilli froidement par ses contemporains.
En 1630, à la suite d'une grave maladie, Poussin épousait Anne-Marie Dughet, la fille d'un cuisinier français installé à Rome qui l'avait soigné et dont le frère Gaspard devait devenir son élève. C'est à cette époque qu'il semble avoir renoncé à briguer les commandes publiques pour des églises ou des palais romains, et qu'il choisit de s'en tenir à des toiles de dimensions moyennes destinées à un groupe de collectionneurs souvent peu fortunés mais attentifs. Il devait désormais travailler à son rythme pour cette clientèle étroite, vivant dans une indépendance jalousement préservée dont peu de peintres purent bénéficier à son époque, et prenant le temps de méditer longuement chacune de ses compositions. Peintre d'histoire par excellence, il devait donner à ce genre, réputé le plus complet, sa signification la plus haute et la plus exigeante, en devenant un exemple marquant pour des générations de peintres.
Au cours des années 1627-1633 environ, peignant parfois des sujets religieux traditionnels (Le Massacre des Innocents, musée Condé, Chantilly), Poussin trouve son inspiration la plus personnelle et la plus originale dans des sujets poétiques, des allégories (L'Inspiration du poète, vers 1630, musée du Louvre) ou des sujets tragiques (Tancrède et Herminie, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg). Choisissant souvent des sujets riches d'allusions érudites dans les Métamorphoses d'Ovide, il en tire une recréation poétique plutôt qu'archéologique de l'Antiquité, dans des évocations heureuses mais parfois teintées de mélancolie du Parnasse (Mars et Vénus, Museum of Fine Arts, Boston). Le style de ces tableaux est caractérisé par des lignes souples et un coloris chaud et doré reflétant son admiration pour les grands maîtres vénitiens du xvie siècle, tandis qu'une maîtrise de plus en plus forte de ses constructions s'y affirme progressivement (L'Empire de Flore, Gemäldegalerie, Dresde).
Vers 1634-1635, la renommée de Poussin s'étendait au-delà de Rome et gagnait Paris, peut-être grâce aux peintures envoyées en présent par le cardinal Barberini au cardinal de Richelieu. Celui-ci commanda plusieurs grandes compositions mythologiques destinées à son château du Poitou (Le Triomphe de Neptune, Philadelphia Museum of Art ; Le Triomphe de Pan, National Gallery, Londres ; Le Triomphe de Bacchus, Nelson Gallery-Atkins Museum, Kansas City) qui marquent un tournant dans son inspiration. Choisissant à cette époque des sujets permettant de grandes mises en scène historiques, en particulier dans l'Ancien Testament, Poussin équilibre désormais ses compositions de manière plus rigoureuse (L'Adoration du Veau d'or, vers 1633-1636, National Gallery, Londres). Volontairement profonds ou tragiques, les thèmes traités lui servent à présenter une analyse des sentiments à un moment où une situation dramatique les porte à leur plus grande intensité, les attitudes de chaque personnage illustrant chez lui un sentiment précis et une réaction à l'action ; en étudiant les différents groupes de la composition, le spectateur doit être en mesure de déchiffrer les sentiments exprimés par chaque acteur et son rôle respectif dans l'histoire (L'Enlèvement des Sabines, Les Israélites recueillant la manne dans le désert, tous deux peints en 1637-1639, musée du Louvre). Souvent commentée et imitée par les peintres de la génération suivante, celle de Charles Le Brun, cette conception très démonstrative et littéraire du rôle de la peinture devait être codifiée au sein de l'Académie royale de peinture et de sculpture, mais non sans danger pour des peintres moins inventifs. Au même moment, ses constructions deviennent plus statiques, tandis que son modelé, très marqué par l'étude de la sculpture antique, est plus sculptural, et sa couleur plus froide. Le style de cette première période romaine trouve son accomplissement dans la série des Sept Sacrements (collection Rutland, Belvoir Castle, et National Gallery, Washington) peinte vers 1636-1640 pour Cassiano Dal Pozzo, et qui met en scène la liturgie des premiers chrétiens.
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Écrit par
- Stéphane LOIRE : conservateur au département des Peintures du musée du Louvre
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