POUSSIN NICOLAS (1594-1665)
Poussin à Rome : la maturité et les dernières années
Retrouvant les conditions morales propices à sa création et jouissant d'un respect croissant de la part des milieux artistiques tant en Italie qu'en France, Poussin allait, au cours des années suivant son retour à Rome, apparaître progressivement comme l'une des figures dominantes de la peinture européenne. Il sera désormais le peintre-philosophe dont l'Autoportrait peint en 1650 pour Chantelou (musée du Louvre) a contribué à fixer l'image austère et savante. Puisant fréquemment son inspiration dans des thèmes du Nouveau Testament ou de l'histoire romaine, il traite de préférence les sujets qui lui permettent un approfondissement de sa quête morale. Dans les Évangiles, il se tourne vers les grands thèmes fondamentaux (la Sainte Famille, la Crucifixion), tandis que les historiens romains stoïciens lui permettent d'exploiter des variations autour du concept de la victoire de la volonté sur les passions. Revenant parfois à des sujets déjà traités dans un style de plus en plus rigoureux et dépouillé, il reprend en particulier ceux des Sept Sacrements dans une série peinte entre 1644 et 1648 pour Chantelou (collection du duc de Sutherland, en prêt à la National Gallery d'Édimbourg), où il accentue la solennité de la première série. Désormais établies selon une symétrie rigoureuse évoquant la Renaissance classique et en particulier Raphaël, ses compositions sont plus monumentales et plus dépouillées, tandis que les figures gagnent en gravité, et les gestes en force expressive (Le Jugement de Salomon, 1649, musée du Louvre). Dans certains tableaux, l'espace s'organise en termes purement géométriques, les figures étant placées dans un cadre défini par des plans qui creusent une succession de blocs rectangulaires (Sainte Famille à l'escalier, 1648, Cleveland Museum of Art). Par ailleurs, cessant de n'être qu'un décor de scène, le paysage gagne en profondeur, dans les éléments architectoniques comme dans les masses végétales.
Dans tous ces tableaux, le souci majeur de Poussin est d'adapter la composition au sujet, chacun réclamant un type de traitement particulier : c'est la « théorie des modes » empruntée à la musique des anciens Grecs, selon lesquels les différents modes musicaux exprimaient les caractères des thèmes. Transposés en peinture, ces modes sont censés produire certains effets sur le spectateur, et le dessin, qui seul parle à l'esprit par l'intermédiaire de l'intelligence et de la raison, est ce qui compte avant tout, tandis que les couleurs ne sont que « des leurres qui persuadent les yeux ».
Grâce aux témoignages de contemporains, nous connaissons assez bien les méthodes de travail de Poussin vers cette époque. Quand on lui demandait un sujet, il commençait par lire tout ce qu'il pouvait trouver s'y rapportant afin de s'en imprégner. L'œuvre naissait ainsi de la méditation, que des croquis successifs explicitaient. L'idée générale de la composition une fois arrêtée, Poussin la développait à l'aide de petites figures de cire qu'il drapait avec soin et installait dans une sorte de théâtre dont il pouvait contrôler l'éclairage. En déplaçant ses figurines, il pouvait trouver les groupements les plus satisfaisants pour son désir de clarté et d'harmonie de la présentation, dont des croquis, rehaussés de lavis pour donner les lumières et les ombres, nous restituent parfois la séquence. C'est alors seulement qu'il passait, très lentement, à l'exécution de son tableau, ne peignant jamais d'après nature et ne dessinant pas d'études préparatoires de figures isolées, mais allant parfois observer des modèles humains lorsqu'il le jugeait nécessaire. Enfin, comme beaucoup d'artistes de son temps, Poussin étudiait attentivement la statuaire antique, qu'il considérait comme le modèle parfait pour ses compositions : une anthologie[...]
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Écrit par
- Stéphane LOIRE : conservateur au département des Peintures du musée du Louvre
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