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NICOLAS RÉGNIER, L'HOMME LIBRE (exposition)

La leçon de Caravage

Régnier, qui retient de Caravage l’osmose de la réalité profane hic et nunc et du sacré à travers figures et sujets religieux ou classiques, portraits et scènes de taverne, est un peintre d’évidence marqué par l’exemple de Bartolomeo Manfredi (1588-1622) qui fut l’un des disciples et des principaux diffuseurs du caravagisme auprès des jeunes artistes, notamment ceux qui venaient de France et des Pays-Bas : clair-obscur soutenu, naturalisme des figures, sens de l’expression corporelle… Voilà pour ce qu’on a appelé la manfredianamethodus que l’on retrouve chez Régnier dans des tableaux comme Soldats jouant aux dés la tunique du Christ (vers 1620 ; Lille, palais des Beaux-Arts) ou encore Bacchus et un buveur (vers 1621-1622 ;Rome, Galerie nationale d’art ancien, palais Barberini).Mais « l’homme libre », surnom qui fait entrevoir un personnage anticonformiste, sait aussi affirmer sa dette directe à Caravage et se mesurer à lui en peignant un Saint Matthieu et l’Ange (vers 1617-1622 ; Sarasota, musée d’art John-and-Mable-Ringling), clairement inspiré du chef-d’œuvre peint pour la chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français, un tableau jugé scandaleux et refusé par les commanditaires, autrefois conservé au musée Kaiser-Friedrich de Berlin, et hélas aujourd’hui détruit.

Une élégance aristocratique se dégage très vite des œuvres romaines, même dans la farce (Le Camouflet, 1617-1620 ; Rouen, musée des Beaux-Arts) et la figure satirique. Dans le portrait (Autoportrait au chevalet, 1623-1625 ; Cambridge, Mass., musées d’art de Harvard-musée Fogg), Régnier atteint à une gravité majestueuse. La sensualité des anatomies (Saint Sébastien, vers 1625 ; Dresde, Gemäldegalerie), le satiné incomparable du métier, la subtilité du clair-obscur confèrent à son œuvre un charme qui n’est pas sans évoquer l’école de Parme et Guido Reni, tout en révélant qu’il a aussi regardé ses rivaux de la scène romaine, en particulier Valentin de Boulogne et Simon Vouet.

À partir de 1620, les prestiges artistiques et politiques de Venise attirent, malgré un certain déclin, une nouvelle vague d’artistes, romains comme Carlo Saraceni (qui meurt à Venise la même année), Domenico Fetti et Nicolas Régnier, mais aussi Antoine Van Dyck en 1622 et plus tard le Génois Bernardo Strozzi.

Sans reprendre le jugement sévère de Roberto Longhi, selon lequel, une fois à Venise, Régnier « rend sa carte du parti caravagesque et se dilue dans les eaux de la lagune », on ne peut que constater, malgré la reprise, dans les premières années, de sujets et de mises en page romaines (La Diseuse de bonne aventure, vers 1626-1630 ; Paris, musée du Louvre), que la leçon de Caravage se perd dans un art à la fois plus précieux, plus opulent et plus théâtral (La Mort de Sophonisbe, vers 1640-1650 ; Cassel, Museumslandschaft Hessen Kassel). Brillante mais moins poétique, la manière de Nicolas Régnier semble refléter dès lors, à travers portraits, tableaux de chevalet et grands retables (La Vierge de l’Annonciation et L’Ange de l’Annonciation, vers 1664-1667 ; Venise, Galleria dell’Accademia), l’apparat de la Sérénissime et la curiosité de celui qui fut peintre, marchand et collectionneur.

— Robert FOHR

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