GOGOL NICOLAS VASSILIÉVITCH (1809-1852)
La révélation du génie
La rencontre de Pouchkine est pour Gogol très importante. Dans la société littéraire, fort restreinte à l'époque, où il vient de pénétrer, c'est une des rares personnalités qui lui en imposent. Quant aux autres, il voit cruellement leurs défauts et leurs ridicules. C'est cette vision du « mal » qui le dirige.
Il se détache tout de suite de ses Soirées du hameau, le rôle d'amuseur ne lui suffisant nullement. Il écrit alors des nouvelles qui lui sont inspirées par Pétersbourg, où il porte maintenant un regard plus attentif. Il a découvert le mystère de cette ville qui lui avait semblé d'abord si prosaïque : bâtie sur des marais, tracée au cordeau, noyée dans la brume, avec son peuple de fonctionnaires soucieux et affairés, elle ne manque plus de beauté à ses yeux, mais cette beauté est impassible, ce royaume est celui des faux-semblants. Jamais les choses n'y sont ce qu'elles paraissent être à première vue. Le Journal d'un fou, Le Nez, Le Portrait, La Perspective Nevski qui furent publiés dans Arabesques (1835), et Le Manteau (1841) développent ce thème du divorce entre les apparences, le rêve et la réalité. Le plus important de ces récits est sans doute Le Manteau : un petit fonctionnaire n'a d'autre rêve que de s'acheter un manteau chaud pour l'hiver ; il y parvient, au prix de sacrifices inouïs, mais le soir même des voleurs le lui dérobent. Il en tombe malade et il meurt. Ce récit eut une extraordinaire destinée. On a dit que le roman russe, avec ses thèmes sociaux et humains, était sorti tout entier du Manteau. C'est vrai, pour une part, quoiqu'il y ait dans cette nouvelle, comme dans toutes les œuvres de Gogol, une étrangeté irréductible qu'il est impossible de ramener au seul thème de l'injustice sociale. La description de l'existence quotidienne, d'une extrême minutie, qui donne réellement à « voir » toute une société, bascule à tout moment dans une vision poétique que l'écrivain semble à peine maîtriser. La nouvelle s'achève sur un épilogue fantastique : le fantôme du héros, Akaki Akakievitch, vient arracher sa pelisse à un haut fonctionnaire. Ce fantastique eut lui aussi sa postérité. C'est Gogol qui (avec Pouchkine dans Le Cavalier de bronze) crée sur le plan littéraire le mythe d'un Pétersbourg maléfique, malsain et trompeur, thème amplifié après lui par Dostoïevski et Andréi Biély.
Dans une période de doutes, d'hésitations, il se croit une vocation d'historien ; dès qu'il se détourne de son art, ses tendances didactiques, révélées dès sa jeunesse dans ses conseils à sa mère, reparaissent. Il obtient même le poste de professeur adjoint d'histoire à l'université de Pétersbourg. Cette expérience fâcheuse dure un peu plus d'un an (1834-1835). Cette époque est pour Gogol d'une extrême fécondité. Toute son œuvre se dessine alors. Ses recherches historiques aboutissent à Tarass Boulba (1835) qui dépeint la lutte des Cosaques ukrainiens contre les Polonais : le ton héroïque, optimiste en quelque sorte de ce roman est exceptionnel dans son œuvre. Dans Arabesques, paru la même année avec une partie des nouvelles pétersbourgeoises, Gogol expose ses idées sur l'art, où se révèlent ses tendances contradictoires : l'art doit tendre à la beauté, l'harmonie... ce à quoi Gogol, peintre du grotesque, de l'inexistant, ne parvint jamais ! Il rédige Hyménée, farce burlesque, d'où sortira plus tard le théâtre de mœurs d'Ostrovski. Cet été-là, Pouchkine lui donne le sujet des Âmes mortes dont les trois premiers chapitres sont achevés dès l'automne. Gogol demande alors à son ami le sujet d'une comédie. Celui-ci lui communique le thème du Revizor, écrit très rapidement et joué le 19 avril 1836[...]
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Écrit par
- Sylvie LUNEAU : diplômée des langues orientales, licenciée d'histoire, traductrice de russe
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Média
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