GOGOL NICOLAS VASSILIÉVITCH (1809-1852)
« Les Âmes mortes »
Après un séjour en Allemagne, il s'arrête à Vevey où il reprend les premiers chapitres des Âmes mortes qu'il avait commencés en 1836 ; il continue ce travail à Paris. C'est au cours de ce voyage qu'il apprend la mort de Pouchkine qui l'a tant aidé à ses débuts en lui apportant ce qui lui manque : le sens de la mesure, l'équilibre. Sa solitude en est accrue. La composition des Âmes mortes est désormais le problème majeur de son existence.
À Rome, où il s'installe, Gogol trouve la « patrie de son âme ». Son tempérament méridional s'épanouit dans ce climat et il admire la ville ancienne, celle de l'Antiquité, celle de la Renaissance. Il voit des affinités entre le peuple russe et le peuple italien, sensible au beau, désintéressé, prenant son temps pour vivre, tout l'opposé de l'Occident matérialiste et affairé qui lui a fait horreur. Il est attiré aussi par le catholicisme, par l'unité que celui-ci donne à la vie romaine.
C'est à Rome qu'il travaille le mieux aux Âmes mortes, durant les deux années (1837-1839) qui sont probablement les plus heureuses de son existence.
La laideur des choses et des êtres et la souffrance qu'il en éprouve, matière première de son œuvre, nécessitent, pour s'élaborer à travers l'étrange vision qui lui est propre, un recul, un dépaysement, un cadre inactuel, en dehors du temps. La Rome aux ruines poétiques et aussi la Rome pontificale répondent parfaitement à ce besoin. Gogol écrit son chef-d'œuvre hors de Russie, et même en voyage, aux étapes de ses pérégrinations. On a calculé qu'il n'avait passé que cinquante jours en Russie pendant qu'il écrivait la première partie des Âmes mortes, la seule achevée.
Gogol n'avait pas vu tout de suite l'importance du sujet, assez mince, que lui avait confié Pouchkine. Un aventurier, Tchitchikov, a l'idée de racheter aux propriétaires les « âmes » (c'est-à-dire les serfs mâles) mortes entre deux recensements. Il a aussi l'espoir de faire fortune en négociant ce bien imaginaire qui peut être déposé en banque. Mais lorsque Gogol en avait lu à Pouchkine les trois premiers chapitres, annoncés comme « très drôles », celui-ci s'était écrié : « Dieu ! Que notre Russie est triste ! » Gogol avait alors découvert les prolongements de son œuvre. De plus, l'échec relatif du Revizor l'avait amené à réfléchir à la valeur morale du rire. À Vevey, il remanie Les Âmes mortes en essayant d'adoucir l'image des « monstres » qui se sont échappés de sa plume. Le sujet prend dans son esprit de vastes proportions : il s'y prête, l'enquête de Tchitchikov peut le mener dans les milieux les plus divers. Gogol veut maintenant y faire entrer « toute la Russie ». L'influence apaisante, religieuse de Rome, l'attachement à la Russie, approfondi par l'éloignement, vont donner plus de gravité à l'ouvrage.
La grande période de composition de la première partie des Âmes mortes s'étend du printemps 1837 à l'automne 1839. Le livre fut achevé au printemps 1841, après un court séjour en Russie. C'est alors que Gogol crée ces personnages fameux dont le public s'empara immédiatement et dont les noms devinrent des noms communs comme ceux des personnages de Molière. Cependant, à la différence de Molière, les noms ici ne recouvrent pas des caractères mais des individus. De Pliouchkine seul, on peut dire qu'il est avare, alors qu'il est impossible de résumer par un qualificatif le caractère des autres : Korobotchka, Manilov, Nozdriov, Kopeikine, Sobakievitch, Tchitchikov lui-même (tous ont un nom symbolique, évoquant leur personne) sont... ce qu'ils sont, c'est-à-dire presque rien. Construits de l'extérieur, par l'accumulation de détails pittoresques, par une description à la fois précise[...]
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Écrit par
- Sylvie LUNEAU : diplômée des langues orientales, licenciée d'histoire, traductrice de russe
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Média
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