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NIHILISME

L'origine du nihilisme : le néant de l'Idéal

Que recouvre le mot « Dieu » dans la proposition « Dieu est mort » ? Nietzsche l'explique : Dieu est la dénomination de l'être dans la philosophie occidentale et il cautionne un idéalisme métaphysique pour lequel l'être désigne une réalité intelligible, identifiée au Bien absolu et située au-delà du monde sensible. Or, la spéculation idéaliste, si elle a triomphé historiquement avec le christianisme, « ce platonisme pour le peuple », n'avait jamais complètement comblé la fissure entre le réel et cet être en-soi paré de toutes les perfections. Le nihilisme coïncide très exactement, selon Nietzsche, avec la découverte que cette contradiction trahit une fatale erreur d'interprétation ; l'être-idéal n'est, en vérité, qu'un pseudo-fondement, un nihil qui frappe de nullité toutes les valeurs qu'on lui accroche. Le sentiment de l'absurde exprime alors notre désenchantement en présence d'un monde dont l'inhumanité est scandaleuse pour une conscience éduquée selon des canons moraux anthropomorphiques. « Le nihilisme radical, c'est la conviction que l'existence est absolument intenable, si on la compare aux valeurs les plus hautes que nous connaissions ; il s'y ajoute cette constatation que nous n'avons pas le moindre droit de supposer un au-delà ou un en-soi des choses qui serait « divin », qui serait la morale incarnée » (XV, 145). Le nihilisme est l'aveu lucide que l'ancien fondement métaphysique des valeurs, l'être identifié à Dieu, n'est qu'une fabulation autour du néant : « Si un philosophe pouvait être nihiliste, conclut Nietzsche, il le serait parce qu'il trouve le néant derrière tous les idéaux » (VIII, 139-140).

Les mensonges de la décadence

Appliquant une nouvelle méthode critique, la méthode généalogique, qui consiste à détecter, sous les arguments rationnels, les articles de croyance ou « valeurs », puis, en deçà des valeurs, le type de vie qui en use pour dominer, Nietzsche impute à un phénomène de déchéance vitale, qu'il nomme la Décadence, la responsabilité de la crise nihiliste. Le nihilisme est l'« idéologie » ou encore la « morale » de cette espèce d'hommes qui a besoin des chimères idéalistes pour se consoler de son impuissance à maîtriser le devenir, les contradictions, la douleur inhérents à la réalité véritable. La décadence correspond à l'une des possibilités de la volonté de puissance, qui se manifeste soit comme volonté de vie, soit comme volonté du néant. Or la décadence a submergé les instincts de vie et a établi le règne universel de sa morale idéaliste, provoquant la domestication des tempéraments d'élite, le nivellement de la hiérarchie naturelle, la falsification cauteleuse des faits, la prépondérance des impératifs grégaires, la calomnie du corps et, au bout du compte, l'enlaidissement nihiliste du monde.

Comment a-t-elle pu obtenir ce résultat ? Par une méthode expéditive qui consiste à détourner les catégories logiques de leur fonction propre (valeurs au service de la vie, selon les points de vue où s'exprime le perspectivisme de la volonté de puissance) en les hypostasiant au-delà du monde sensible à titre de vérités absolues. La décadence construit de cette manière la fiction d'un monde « inhumain et dénaturé » et c'est précisément ce « néant céleste » (VI, 43) qui allume l'incendie du nihilisme.

Idéal et vérité

Mais, pour que le néant soit démasqué, il faut d'abord que se produise une mutation à l'intérieur de la morale décadente. La véracité ne triomphe du vieux mensonge idéaliste qu'à partir du moment où, selon une impulsion authentiquement dialectique, la morale se surmonte elle-même, engendrant la passion[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, professeur à l'université de Rouen

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