MAGALOFF NIKITA (1912-1992)
Sans être une star du piano, Nikita Magaloff avait conquis patiemment une place prépondérante dans le monde du clavier. Il devait sa notoriété à Chopin, dont il fut l'un des premiers (après Alexandre Braïlowski) à donner l'intégrale de l'œuvre pour piano en concert, mais aussi à son rayonnement, qui guidait vers lui les jeunes pianistes à la recherche d'un style en voie de disparition.
Il naît à Saint-Pétersbourg, le 8 février 1912. Alexandre Siloti, un disciple de Liszt, conseille à ses parents de l'orienter vers le piano. Sa famille quitte la Russie en 1918 et passe quatre ans en Finlande avant de s'établir à Paris en 1927. Il travaille au Conservatoire avec Isidor Philipp et obtient un premier prix en 1929. Ravel l'encourage et il étudie la composition avec Paul Dukas. Il trouve en Serge Prokofiev un maître qui perpétue en lui les bases de sa formation russe ; il retrouve Rachmaninov, dont il avait déjà bénéficié des conseils dans son enfance en Russie. Il évolue dans le monde artistique et intellectuel des émigrés de l'Europe éclatée par la Première Guerre mondiale et commence une carrière, d'abord discrète, en 1937. Son répertoire de base tourne autour de Chopin, Scriabine et Prokofiev ; mais il connaît aussi tout le répertoire français et il se met à l'écoute des plus grands, découvrant Schubert grâce à Artur Schnabel, Brahms grâce à Edwin Fischer. La guerre l'oblige à se fixer en Suisse, près de Montreux, où il vivra jusqu'à la fin de ses jours. Sa carrière internationale prend son essor après la guerre : une première tournée aux États-Unis en 1947 est suivie de concerts sur les cinq continents. Sur les bords du lac Léman, il se lie avec Charlie Chaplin, Carl Schuricht, Wilhelm Furtwängler et Dinu Lipatti, auquel il succède comme titulaire de la classe de virtuosité au conservatoire de Genève (1949-1959). Il aide Clara Haskil à s'intégrer au milieu musical suisse et joue avec elle la Sonate pour deux pianos et percussion de Bartók. Il obtient la nationalité helvétique en 1956. Il donne des cours d'interprétation à l'Accademia Chigiana de Sienne (1967), à Taormina, en Sicile, au Conservatoire de Paris. Mais c'est surtout chez lui que ses jeunes condisciples viennent puiser à une source intarissable ; enseigner est pour lui une seconde nature, l'illustration d'une générosité qui frappe tous ceux qui l'approchent — car ses cours sont toujours gratuits : « Transmettre est un devoir, mais je n'enseigne qu'à ceux que je coopte. » Martha Argerich et Mitsuko Uchida profitent de ses conseils, ainsi que Michel Dalberto, Jean-Marc Luisada, Janis Vakarelis et Philippe Cassard. Tous reçoivent bien plus qu'un enseignement musical : toute une culture et une expérience au service de la musique. Il avait épousé la fille du violoniste hongrois Joseph Szigeti, avec lequel il s'était souvent produit en duo. Ses autres partenaires de musique de chambre ont été le violoniste Arthur Grumiaux et le violoncelliste Pierre Fournier. Reconnu tardivement comme l'un des grands du piano, il avait reçu la consécration au dernier festival de Besançon avant de mourir, à Vevey, le 26 décembre 1992.
Magaloff est particuliérement difficile à situer sur l'échiquier pianistique. C'était d'abord un seigneur, un maître du style. Son approche décidée du clavier, sans la moindre mièvrerie, la sûreté de sa technique le rattachent sans équivoque à l'école russe. Mais il a puisé dans le patrimoine français un sens du phrasé, une liberté du discours que l'on trouve rarement accolés aux précédentes qualités. L'ouverture intellectuelle de l'homme, son besoin de culture donnent à sa démarche une tout autre dimension, celle d'un artiste qui réfléchit. Mais point d'intellectualisme : Magaloff est l'homme des clins d'œil ; il possède une palette sonore inouïe[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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